En cas de pluie, aucun remboursement, ou les coulisses pas vraiment « Royaume du Super fun » de la lutte pour le pouvoir

Raymond Bouchard, Catherine Paquin Béchard, Lucien Bergeron, Louise Cardinal, Sébastien Gauthier et  Mélanie St-Laurent © photo: Caroline Laberge
Raymond Bouchard, Catherine Paquin Béchard, Lucien Bergeron, Louise Cardinal, Sébastien Gauthier et Mélanie St-Laurent © photo: Caroline Laberge

Dans le monde gentiment suranné du parc d’attraction « Royaume du Super Fun » règne un mode de management et de gestion que l’on aimerait lui aussi bercé du seul charme du désuet : petits arrangements à la limite de la corruption avec les autorités de contrôle et les normes comptables et paternalisme autoritaire envers les salariés. Au sommet de ce petit monde, règne, sans véritable partage, le Boss, le King, Louis le juste. Parce que diviser pour mieux régner tout en flattant les uns tour à tour est encore une valeur sûre des dirigeants pour se maintenir dans ce type d’univers, il laisse « prospérer » au sein de son « royaume », sous l’apparence de la cohésion, petites intrigues, magouilles de l’équipe pour lui plaire et se placer dans la hiérarchie du pouvoir En bon « King » il a bien sûr un héritier, en l’occurrence une héritière, sa fille Marie-Jeanne la Bien-aimée en qui il aimerait assurer sa succession. Mais celle –ci n’échappe pas non plus au modèle de l’héritière, de la fille de, aussi princesse qu’incompétente pour qui la position de papa est surtout une source de privilèges et de vie facile et surtout pas un avenir professionnel à suivre et auquel il faut s’initier avec sérieux. Tout ce petit monde tourne sur sa petite routine bien huilée jusqu’à ce qu’un incident cardiaque un peu sérieux place le king devant la réalité brute. À la fin de la saison en cours il va devoir prendre sa retraite et la relève toujours envisagée pour être aussitôt repoussée s’impose inéluctablement. Dès lors, la course au pouvoir s’enclenche cette fois-ci clairement entre les chefs de sections, Henri le Bègue à la sécurité, Charlotte la Hardie aux manèges, François le Bel aux attractions nautiques, et Lucille La Crasse à l’entretien , animation et restauration. Des noms de personnes qui sont autant de noms génériques des archétypes tant des personnalités que de la conception de leur mission auxquelles elles s’identifient et de la réalité « terrain » de leur entreprise. Et chacun d’aiguiser son couteau en vue de la lutte, sournoise, finale. Tous sauf Marie-Jeanne la Bien-aimée qui ne rêve que d’une chose : ne surtout pas succéder à papa. Ce qui ne l’exclue pas pour autant du jeu tous les autres l’incluant dans leur stratégie personnelle soit pour démontrer son incompétence soit pour se déclarer aux yeux du boss comme celui ou celle qui la guidera sur la voie de l’apprentissage. Toute cette petite course au pouvoir se déroule finalement dans le prolongement logique de l’atmosphère qui règne à la direction du Royaume du Super Fun jusqu’à ce que Marie-Jeanne la Bien-aimée introduise à la suite d’un pari perdu (et truqué apprendra-t-elle à ses dépend) l’outsider, qui fera vite figure de loup dans la bergerie : Un jeune handicapé, bossu, auquel elle a promis de trouver une job, n’importe laquelle au sein du parc. Mais l’homme dont personne ne se méfie et que l’on cantonne au soin des animaux dans la mini ferme sait très rapidement se montrer indispensable tant sur le plan des relations interpersonnelles que de la gestion des situations de crises successives auxquelles est soudainement confronté le parc. Quitte à provoquer en toute discrétion ces dites crises. Il gravit ainsi de façon fulgurante les échelons jusqu’à arriver dans le Saint des saints de ce royaume, l’équipe de direction et ses réunions. Le temps que l’équipe de « bras cassés » qui tiennent lieu de successeurs potentiels s’en rendent compte, il risque bien d’être assis sur le trône au terme d’une machination aussi rapide que sans état d’âme et bien huilée. Le sera–t-il finalement ou l’happy end du monde Disney des parcs d’attraction à laquelle nous rêvons tous que la réalité de la vraie vie corresponde surgira-t-elle au dernier moment?

On l’aura compris, donner vie au Royaume du Super Fun est l’occasion, pour l’auteur-metteur en scène, Simon Boudreault, de nous offrir une savoureuse allégorie des rapports et de la quête du pouvoir dans notre monde que ce soit celui de l’entreprise ou du monde politique et sûrement même de beaucoup de cercles de sociabilité. Le choix du parc d’attraction est particulièrement bien trouvé car il amplifie, de façon malheureusement bien réaliste, par le décalage ainsi créé entre la façade lisse et bienfaisante de l’entreprise au service du bien être collectif (le loisir familial bon enfant) et le petit monde de magouilles arnaques et coups tordus que sa gestion recèle, l’hypocrisie de la situation. Une hypocrisie et un cynisme qui n’appartiennent malheureusement pas dans nos sociétés, comme on aime à le croire, qu’au monde de la grande entreprise multinationale du capitalisme sauvage. Nous pouvons, en effet, tous, citer sans beaucoup chercher, qui un organisme de bienfaisance, qui un parti politique, une association de défense de droits, ou une entreprise de services où l’envers du décor n’a rien à envier à celui du Royaume du Super Fun!!!.

Lucien Bergeron, Jocelyn Blanchard, et Sébastien Gauthier © photo: Caroline Laberge
Lucien Bergeron, Jocelyn Blanchard, et Sébastien Gauthier © photo: Caroline Laberge

En cas de pluie, aucun remboursement, est une véritable réussite. Le message, la dénonciation, même, sur les dysfonctionnements, les dérives dans les rapports professionnels hiérarchiques et les quêtes de pouvoir et de carrière, passent à merveille dans ce marigot qu’est le Royaume du super fun. Une problématique à laquelle Simon Boudreault tient particulièrement, de son aveu même et qu’il avait déjà exploré avec brio, bien que sous un angle différent, dans sa précédente pièce « As is ».
Tout concours, dans cette pièce, à sa réussite : son thème: Universel malheureusement dans le temps comme dans l’espace et qui de ce fait même nous concerne et nous interpelle tous. Les personnages : Qui n’a pas un jour connu, subi ou même soyons juste orchestré l’un des rôles des protagonistes et de leur petit monde. Les textes : ils sont à la fois drôles, percutants, sans lourdeur ou « bien-pensance » et en parfaite harmonie avec chacun des personnages et le monde dans lequel ils évoluent. De ce fait ils sonnent toujours justes même si l’auteur a choisi, à bon escient, le registre de l’humour. L’intrigue et son déroulement : Bien plus que vraisemblable, elle est réaliste. L’auteur nous épargne renforçant ainsi l’impact de sa création les situations abracadabrantes ou même juste artificielles avec une fin sur le mode deus ex machina.
Une création également très bien servie par une mise en scène rythmée qui sait toujours rester dans la mesure sans tourner au théâtre de boulevard ou les facilités. Ce qui aurait pourtant été aisé compte tenu du parti pris de l’auteur pour le traitement de sa problématique mais qui lui aurait, certainement, nuit; des acteurs; tous excellents, toujours justes, qui ne sombrent jamais ni dans l’hyper jeu ni dans la farce et qui savent, tout en donnant le relief nécessaire à chacun de leur personnage, rester au service du projet collectif; et par des décors, modulaires, comme des costumes en parfaite harmonie avec l’univers humain et entrepreneurial recréé. On suit donc avec délice le processus de mise en œuvre de la « relève » comme on dit en notre période de nombreux départs à la retraite des baby boomers. Un processus, acidulé et même acide où le cynisme des personnages et de leurs ambitions se teintent tout de même parfois de tendresse et d’humanité.
Une création qui sait rester en cohésion et concentrée sur son objectif, en évitant tous les pièges de l’éparpillement, de la succession de sketches ou one man show d’acteurs dans la pièce ou de la caricature. Ce qui lui donne toute son efficacité.

Une création parfaitement à l’image du Petit Théâtre du Nord qui « contribue à l’enrichissement de la comédie québécoise par ses commandes d’œuvres porteuses de résonances » comme le définit elle-même son équipe de direction artistique et qui, une fois encore, est une réussite dans la programmation du Théâtre Jean Duceppe. Un théâtre qui décidément a choisi d’explorer, pour notre plus grand bonheur et notre santé mentale et sociétale les arcanes infinies autant que tortueuses et torturées du pouvoir et des relations humaines.

En cas de pluie, aucun remboursement
Auteur et metteur en scène : Simon Boudreault

Distribution des rôles
Louis Le Juste ( le King) : Raymond Bouchard,
Marie-Jeanne La Bien –Aimée : Catherine Paquin Béchard,
Le Bossu : Lucien Bergeron,
Henri Le Bègue : Jocelyn Blanchard,
Charlotte la Hardie : Louise Cardinal,
François Le Bel : Sébastien Gauthier
Lucille La Crasse : Mélanie St-Laurent

Collaborateurs
Décor et accessoires: Julie-Christina Picher
Costumes: Ève-Lyne Dallaire
Éclairages: André Rioux
Bande sonore: Larsen Lupin
Assistance à la mise en scène: Martine Richard
Une présentation de Hydro Québec

Une création du Petit Théâtre du Nord http://www.petittheatredunord.com/
Directrice générale : Mélanie St-Laurent
Direction artistique : Luc Bourgeois, Sébastien Gauthier et Mélanie St-Laurent

Une production du Théâtre Jean Duceppe
Directeur artistique Michel Dumont,
Directrice générale Louise Duceppe

Théâtre Jean Duceppe
Place des Arts
Du 7 septembre au 15 octobre 2016
Durée 2h15 avec entracte
Tarifs individuels de 54$ à 60$
175, rue Sainte-Catherine Ouest
Montréal (Québec) H2X 1Z8
Tél. : 514 842-2112 Sans frais : 1 866 842-2112
http://www.duceppe.com

© photo: Caroline Laberge