Le Clochard de Jocelyn Lanouette ou le difficile mais magnifique chemin de la résilience par l’écriture et l’amitié

Jocelyn Lanouette Clochard © photo: courtoisie
Jocelyn Lanouette Clochard © photo: courtoisie

Serge a connu l’engrenage inexorable qui conduit d’une vie familiale et professionnelle heureuse et confortable à celle d’itinérant. Il a suffit d’un divorce au cours duquel la générosité du temps des amours l’expose aux froids calculs intéressés du désamour de sa compagne pour que sa vie bascule : Dès lors tout s’enchaîne, se détraque. Aux problèmes financiers se greffent peu à peu mais inexorablement ceux professionnels, psychologiques, sociaux sous la dynamique implacable du refuge illusoire dans l’alcool. : Perte de sa demeure, perte de son emploi, perte du droit de visite de son fils, perte de son passé judiciaire sans tâche…. La rue semble l’étape ultime vers sa désintégration… Pourtant, c’est ce qui sauvera Serge. D’abord parce que ce passage à la vie d’itinérant est l’ultime résultat…d’une main, enfin, tendue!!! « …Depuis qu’on m’avait enlevé Christian j’oscillais entre rage et désespoir, ne sachant plus quoi faire de ma peau, ne trouvant plus aucun sens à mon existence. Je me suis mis à déambuler dans les rues de la ville sans jamais me soucier de mon trajet. C’est dans ce temps là que j’ai rencontré Mario : Je passais près d’une station de métro quand on m’a interpellé. J’ai relevé la tête; un itinérant me souriait. Une lueur dans les yeux, il m’a tendu sa bouteille : -Un petit coup? Je n’avais pas l’habitude de parler aux clochards et encore moins celle de boire un coup avec eux, mais ce jour-là, soudain, toutes mes barrières sont tombées… Je l’ai remercié-il semblait si content-et dans la même soirée, je donnais ma démission au McDo pour aller m’asseoir sur un banc avec mon gobelet de café, trouvant du même coup mon nouveau métier…. » Trouvant surtout un ami, Mario, qui va peu à peu le ramener à la vie, à la résilience, par l’amitié, sa propre résilience face au drame atroce qu’il a lui-même vécu, mais aussi par la confiance et le seul fait de croire en lui. Mario va savoir aller chercher au plus profond de Serge, sa capacité, son goût pour l’écriture; comme la parcelle de vie, de dignité qui lui reste, pour la rallumer, l’entretenir jusqu’à ce que, peu à peu, son ami remonte un à un les barreaux de l’échelle. Mario le convainc ainsi de participer à un concours d’écriture dans un journal, puis à un autre, jusqu’à ce qu’il soit peu à peu remarqué. Cette écriture, il la met dans un premier temps au service de son regard sur la société qui l’entoure lui permettant en parallèle de dire sa rage : « … Pourquoi écrire? Pour faire justice comme les étudiants qui ornent leur pancartes de slogans contre la hausse des droits de scolarité contre le mépris des instituions, contre les tentatives de répression, contre le régime qui favorise les mieux nantis. Contre ceux qui, pour s’élever, écrasent les autres. … « . Mais peu à peu émerge dans la conscience que par l’écriture «… Je pense que je suis en train de me rassembler … » et que son but fondamental est, par cet acte, de «  …retrouver mon fils Christian… ». Aussi de l’écriture sur la société qui l’entoure puis de romans plus ou moins achevés sur sa vie comme une introspection, il passe à l’étape ultime, la plus dure : Écrire à son fils: « … Moi qui pensais avoir le don de l’écriture, Dieu qu’il m’est difficile de savoir comment commencer cette lettre. Écrire ma vie, rien de plus facile, c’est juste du copier-coller, mais écrire à son fils quand tant d’années nous séparent… Christian c’est la pièce manquante de ma vie, dont l’absence m’a réduit à trois fois rien, sinon à une chose qui sait écrire. Et savoir écrire, quand on ne vit plus, c’est juste du baratin, de l’esquive, du faire-comme-si. Sans Christian, je le sais trop, je ne suis qu’un clochard…»

Bien sûr ce chemin vers le retour à la vie de Serge n’est pas un long fleuve tranquille ni physiquement ni moralement. Ne nous y trompons pas la vie d’itinérant est dure très dure, par les conditions de vie, l’insécurité, la perte de ses repères au risque de se perdre soi-même. Mais la vie d’itinérant c’est aussi le regard des autres, celui-ci de ceux qui vivent dans ce qu’ils estiment être la vraie vie, la vie réelle, digne et qui regardent les clochards, ceux qui ,croient-ils, vivent en marge de la société, avec mépris quand.ils les regardent : «… Je te jure je suis invisible-Je te vois- Toi, oui. Toi tu me connais depuis des années. Mais regarde. Je me place au centre du trottoir et je descends mon pantalon jusqu’aux genoux Ce n’est pas très élégant, j’en suis conscient, mais comme prévu on passe à mes côtés comme si je n’existais pas. Je crie : — Je suis invisible ! Invisible !… » Parce que ce chemin n’est pas non plus linéaire. Il y a les ratés, les rechutes multiformes : la perte d’un manuscrit, une altercation avec la police, le doute sur soi comme sur les autre; les échecs dans la reconnaissance de ses écrits. Mais il y a aussi et surtout, ce qui lui permet de finalement repartir vers l’avant, de retisser les liens sociaux dans, puis, hors du monde de l’itinérance: la puissance de l’humanité, de l’instinct de survie qui vous fais vous reprendre, de la certitude de l’amitié de son ami Mario, de la présence, quelque part, pour lui, de son fils : « …Quand on dit que la vie bascule c’est exactement ça. On croit que tout est fini qu’il n’y a plus rien à dire, puis, sans qu’on s’en aperçoive parce qu’on est aveugle à tout, l’instinct de survie arrive, prend la relève, remplace la vie perdue et se charge de traîner les mille morceaux d’un parc à l’autre, d’un banc à l’autre jusqu’à celui-ci, C’était ma faute…Bien sûr ma rage refait souvent surface. Derrière elle, je le sais, se cache un immense chagrin, et quand ma colère prend trop de place, quand je sens les idées sombres revenir en moi, je pense à mon ami Mario, qui a perdu fille et femme dans l’incendie de sa maison, je pense à mon fils Christian toujours vivant. Je redeviens alors un homme. »

Jocelyn Lanouette aurait pu facilement nous entraîner dans un livre linéaire débordant de pathos bien intentionné à l’happy end ou dans, au contraire, l’hyper réalisme cru et implacable de la vie des itinérants. Son roman évite avec brio ce double écueil. Par la forme de l’écriture d’abord : Le livre prend la forme de trois écritures de l’auteur narrateur qui s’entremêlent tout au long du livre sans ruptures, heurts ou confusion et tissent par les regards différents qu’elles proposent la trame cohérente de la vie de Serge et de sa renaissance : Le récit à la première personne du narrateur de sa vie quotidienne et de ses pensées tel un journal intime; les brèves qu’il nous livre de son regard acide et sans concessions sur les dérives de notre société au service des plus forts, faisant de nous les premiers lecteurs de celles qu’il écrit pour le journal des itinérants. Les extraits enfin, des récits pour les concours ou des romans qu’il écrit et qui sont un récit à peine romancé de sa vie et de l’engrenage des faits qui l’ont conduit à sa vie d’aujourd’hui.

Mais l’auteur a su également enlever toute lourdeur à son livre sans lui ôter ni sa profondeur ni sa pertinence par l’humour omniprésent et par un style qui tout en étant vivant et direct, précis sait convoquer à tout moment la force de l’image. Les phrases, percutantes, font toujours mouche et le vocabulaire est toujours celui qu’il fallait au bon moment.

Jocelyn Lanouette © photo de l’auteur : Michel Paquet
Jocelyn Lanouette © photo de l’auteur : Michel Paquet

Le clochard est un roman qui se lit d’une traite. Un roman qu’il faut lire pour la qualité du récit romanesque mais aussi pour la force de la résilience qu’il transmet. Pour l’humanité qu’il recèle : celle restituée aux itinérants, ces hommes et ces femmes qui vécurent un jour notre vie, choisirent ou furent poussés vers la rue. Un livre pour que nous cherchions à les voir, les comprendre. Pour qu’ils ne soient plus des clochards, invisibles ou l’objet de notre mépris ou de son envers, notre compassion voyeuriste et hypocrite. Parce que s’ils sont Eux, pleinement, dignement, ils sont aussi Nous.

 À propos de l’auteur
Détenteur d’un baccalauréat en Études françaises, Jocelyn Lanouette est animé par une grande passion pour la littérature et la photographie. Il a enseigné la photo pendant plus de vingt ans à l’Université de Montréal. En 2012, il publie son premier roman, Les doigts croisés, Chez XYZ. Il enseigne désormais le français aux adultes.

Le Clochard
Jocelyn Lanouette
Roman, littérature québécoise
Couverture, mise en page: Chantal Boyer
Éditions Stanké : http://www.romansstanke.ca
Groupe Librex, Québécor Média
Version papier :22,95$.
136 pages
ISBN : 978-2-7604-1184-5
Version électronique ; 16,99$. ISBN : 978-2-7604-1183-8

© photo: courtoisie
© photo de l’auteur : Michel Paquet