« Dans la tête de Proust » à l’Espace libre à Montréal

On lit plus que jamais Proust aujourd’hui

Dans la tête de Proust © Omnibus
Dans la tête de Proust © Omnibus

, près de cent ans après sa mort. Toutes les études savantes et tous les commentaires littéraires et philosophiques sont encore loin d’avoir épuisé le génie de sa Recherche du temps perdu, une œuvre monumentale qui fait retour sur la littérature en s’interrogeant sur le temps et sur la mémoire. Ses personnages toutefois, même si leurs travers se rencontrent chez nos contemporains, possèdent un charme désuet avec leur bourgeoisie de salon, leurs beaux habits Belle Époque, leurs manières précieuses de parler ou de se comporter. Il n’en existe plus comme eux et on ne peut les voir et vaguement les rencontrer que dans les musées à travers leurs mobiliers, leurs objets courants ou leurs tenues vestimentaires que l’on conserve avec soin, ou représentés sur les tableaux des artistes de l’époque ou encore dans les vieux films des touts débuts du cinématographe.

À quoi ressemblaient vraiment Madame de Guermantes, Monsieur de Charlus ou Madame de Verdurin? Charles Swann ou Odette, son épouse? Et le narrateur? Est-il Proust lui-même ou un autre, inventé, sorti tout droit, lui aussi, de l’imagination de l’écrivain? Et encore Céleste? La servante dévouée de cet homme très malade et quasiment drogué dans les dernières années de sa vie au point qu’il ne quittait même plus son lit et passait son temps à écrire, possédait-elle vraiment un air de la Joconde?

C’est un peu à toutes ces questions en même temps que s’attaque Sylvie Moreau dans une belle œuvre théâtrale qu’elle a non seulement écrite, mais scénographiée et mise en scène. Le résultat est délicieux et porté par une distribution excellente.

Cinq acteurs sur scène jouent plus que cinq personnages. Il y a Proust qui ne quitte pratiquement pas son lit, il y a Céleste pour le servir, et il y a une foule d’autres personnages qui ne sont pas réellement présents mais qui émanent de l’imagination de Proust. Sans doute sont-ils inspirés de personnages réels, des hommes et des femmes que Proust a vraiment côtoyés dans les salons mondains qu’il fréquentait. Mais comme l’exige toute bonne littérature peut-être, ils sont aussi plus grands que nature, exagérés dans tout ce qui les caractérise. Et c’est cela que la pièce arrive à nous montrer avec brio.

Dans la tête de Proust © Omnibus
Dans la tête de Proust © Omnibus

La pièce prend des allures de performances ou de mime, les personnages déplacent leurs corps selon de véritables chorégraphies. Le texte y tient une place secondaire, mais nécessaire pour citer Proust lui-même et faire le lien avec le vécu des spectateurs censés accéder à un musée très particulier, celui qui conserverait le processus créatif de l’écrivain. Nous sont, dès lors, présentées trois réalités au moins : celle des dernières années de la vie de l’écrivain, celle du spectateur présent, intéressé par la genèse d’une œuvre qui n’a pas dit son dernier mot, et celle enfin de l’imagination de Proust, qui convoque devant nous des personnages colorés et presque caricaturaux, qui sont un mystérieux mélange de sa mémoire et de son imagination qu’il aura le génie en plus de mettre en mots dans des textes inépuisables d’intelligence et de sagesse.

Il fallait oser mettre en scène et montrer des personnages imaginaires et présentés comme tels, comme si le spectateur pouvait vraiment voir ce que Proust voyait lui-même, des personnages dont il se moquait et qu’il prenait soin ensuite de fixer sur le papier.

Dans la tête de Proust, du 21 février au 18 mars 2017, à L’Espace libre à Montréal

Production OMNIBUS le corps du théâtre

Texte et mise en scène Sylvie Moreau

Interprétation Jean Asselin, Réal Bossé, Isabelle Brouillette, Nathalie Claude, Pascal Contamine

Conception Mathieu Marcil (Lumières), Ludovic Bonnier (musique et environnement sonore), Sylvie Moreau et David Poisson (Scénographie)

Informations : http://www.espacelibre.qc.ca/spectacle/saison-2016-2017/dans-la-tete-de-proust