Abattre la bête de David Goudreault un final en apothéose pour la trilogie de la Bête

Abattre la bête © : courtoisie
Abattre la bête © : courtoisie

Son premier parcours, destructeur, avait conduit la Bête en prison. La folie, lors de son procès, n’avait pas été retenue. Ou plutôt, la société, par le bras de la justice, après l’avoir pas à pas détruite, avait jugé plus pertinent, au lieu de la déclarer irresponsable voire même peut-être de la soigner, de se débarrasser de son cas et en même temps de s’absoudre elle-même, en l’envoyant en prison…mais dans l’aile psychiatrique. Coup double à son seul bénéfice pensait-elle. Le lecteur de la Bête et sa cage connaît la suite. Dans cette aile qui conjugue le pire des deux systèmes la bête a prospéré, grandi alimentée autant par les dysfonctionnements du système pénitentiaire que par sa propre folie construite autour de sa double obsession : Passer à la postérité : «…Mais de grands destins foulent le sol de cette terre, une race d’hommes qui marque l’histoire et écrit la sienne. Je suis de cette espèce trop grandiose pour s’effondrer, s’écrouler dans la vase de l’insignifiance commune.…je laisserai ma trace… ». Et s’évader pour retrouver sa mère et reconstruire sa vie : «…Je vais rejoindre ma maman d’un jour à l’autre…C’est fou comme on va s’aimer, se raconter nos vies en pyjama, en sirotant des chocolats chauds avec plein de guimauves dedans, blottis l’un contre l’autre dans un grand sofa de cuir super cher que je lui aurai offert malgré ses protestations bienveillantes… ». On peut même dire que, dans le huit-clos de l’institut psychiatrique, dérives de la société et folie s’allient dans ce processus de désintégration humaine. Une lente mais implacable et inexorable montée en puissance jusqu’à l’explosion finale aussi violente que vaine, du moins pour ce qui concerne le projet de s’évader pour retrouver sa mère. Malheureusement, pour la notoriété, il n’a guère progressé par rapport à La Bête à sa mère et La Bête et sa cage. Celle-ci-ci se limite implacablement au temps du procès et du sanglant «fait divers » qui l’a généré.

Cette fois-ci l’avocat  obtient l’irresponsabilité pénale avec l’aide, il est vrai de la Bête elle-même, qui se lâche contre le juge. C’est donc à Pinel que la Bête sera enfermée. Mais, là encore, il s’agit plus de protéger la société que de chercher à soigner la Bête. D’ailleurs, toujours aussi lucide sur la société, la Bête n’est pas dupe : « …La psychiatrie c’est comme la prison en plus désinfecté. On joue sur les termes pour mettre la main sur des subventions spécifiques mais au fond c’est pareil. Le trou s’appelle pièce consacrée à l’isolement, la cellule se nomme notre chambre, les menottes s’appellent médication et la détention s’appelle thérapie, mais faut pas se tromper, c’est la même violence psychologique, la pire : l’enfermement de l’homme par l’homme… ». Dans de telles conditions et avec un tel mandat on comprend que Pinel n’est vraisemblablement en capacité ni  de mesurer véritablement l’emprise sur la Bête de ses deux obsessions ni surtout de l’en guérir. La Bête peut donc s’y adonner tout à loisir. Dans un premier temps elle tente de réitérer le schéma de ses tentatives d’évasion de la prison en multipliant des stratégies aussi complexes que vaines. Vaines parce que partant dans tous les sens tout en tentant de conjuguer deux objectifs incompatibles : vengeance contre la justice et retrouvailles avec sa mère. Une tentative plus ultime que les autres mais tout aussi ratée que les précédentes la conduit à la pièce de confinement. Le système a pris le dessus? Pas si sûr, car une fois encore, la Bête puise dans sa lucidité et sa capacité infinie d’analyse des situations la solution à la mise en œuvre de son projet : Se concentrer et élaborer un plan plus construit, crédible, utilisant beaucoup plus les défaillances du système et les fêlures des personnes qui l’entourent personnel soignant comme patients, que ses affabulations. Car elle le sait elle doit retrouver sa mère. C’est le but ultime même si l’issue de cette quête peut la conduire à la mort :« …J’étais prêt à mourir dans l’opération s’il le fallait. De toute façon, il faut se souhaiter une mort violente, très violente. C’est la seule chose qui nous évite la souffrance, le vieillissement et la maladie… ».
Et la stratégie fonctionne. La Bête est dehors. Mais elle est recherchée par toutes les polices car son évasion fut sanglante et violente. Mais si La bête et sa cage était le prolongement implacable de la Bête à sa mère, des dérives de la Bête autant que de la société aboutissant à l’explosion et à la destruction, Abattre la bête est au contraire le récit d’un cheminement vers le possible. « …Maman était tout près, je le sentais dans mes tripes. Je devais découvrir où elle habitait, retrouver sa ville, sa rue et le sens de ma vie. Fuck mon fils, fuck mon ex, fuck mes vendettas et fuck le vide. Je m’occuperai de ces détails existentiels plus tard. Pour le moment, il me fallait retrouver l’amour, le seul capable de me réconcilier avec la vie, de me combler sur tous les plans, autant intellectuel et sexuel qu’affectif : j’allais retrouver ma mère. Définitivement… ». La quête de sa mère est bien sûr une cavale sanglante à la Mesrine, celle d’un prisonnier en fuite mais elle est aussi une épopée onirique. Une dualité qui guide toute la liberté retrouvée de la Bête. Mais une dualité inégale dans laquelle peu à peu l’épopée prend le pas sur la cavale celle-ci étant reléguée de plus en plus au rang de moyen planifié, presque contrôlé et limité au nécessaire et non plus exacerbation débridée d’une folie livrée à elle-même. Comme si la Bête en se rapprochant du but perdait de sa bestialité et ses multiples dérives pour se rapprocher de son humanité. Humanité par sa capacité de réflexion, de stratégie mais aussi, humanité par l’acceptation des sentiments d’attachement aux autres et des autres et même respect pour leur vie. Jusqu’à la rencontre ultime. Celle qui doit sauver la Bête. Mais rien ne peut jamais être aussi simple dans la vie décidément déstructurée de la Bête. Et la première rencontre, approche, celle qui devait être l’ultime n’est à nouveau qu’une étape, qui aurait pu être destructrice. C’est finalement par la manipulation, dernière manifestation de sa capacité d’analyse  et d’adaptation aux situations les plus extrêmes pour peu que retrouver sa mère en soit l’enjeu, que la Bête terminera sa quête en vainqueur possible. À moins qu’un nouveau système plus insidieux ait eu raison de lui. Qui se joue de qui? Qui manipule l’autre? L’individu peut-il un jour véritablement sinon dominer au moins s’affranchir des systèmes qui gouvernent nos sociétés? La Bête, l’homme des multiples lectures références de sa vie, l’homme des livres, n’est-il pas, même si c’est à son insu, devenu l’homme du seul Livre? N’a-t-il pas laissé aller sa liberté, même destructrice, pour se soumettre à une norme et à l’anonymat en échange de la tranquillité et de la sécurité comme si la quête inconditionnelle de l’amour maternel avait été le piège ultime de l’aliénation qui lui était tendu?

David Goudreault © : Marianne Deschêne
David Goudreault © : Marianne Deschêne

Comme déjà dans les deux précédents tomes de cette trilogie la narration comme l’écriture suivent le cheminement du héros narrateur. Une fois encore l’auteur sait incarner pleinement celui–ci dans le rythme, l’intensité de ses phrases et de la langue. C’est donc naturellement, en accompagnement de la Bête, que celles-ci peu à peu s’apaisent, sont moins éclatées, moins fracassantes. Sans perdre de leur puissance évocatrices les phrases sont plus longues, le vocabulaire moins violent, le rythme plus « serein » même si toujours soutenu. La poésie de la tendresse se fraye un chemin plus marqué sans que, pour autant, la langue perde de sa truculence et de son sens de la formule. Car attention, si Abattre la Bête est moins noir que La Bête à sa mère et La Bête et sa cage, le roman n’a cependant perdu ni de sa force ni de sa charge contre une société. Notre société, qui fabrique et entretient les dérives d’une Bête. Pas plus que cet ultime parcours de la Bête ne l’absout de ses dérives et de leurs conséquences sur les autres sous la forme du libre-arbitre qui lui reste malgré tout. Rassurons nous, fidèle à lui à lui–même, l’auteur David Goudreault ne nous sert pas un mauvais un happy-end ou une abracadabrante et artificielle fin. Abattre la bête tient bien toutes ses promesses et est bien la suite très attendue et digne des débuts de la trilogie.

À propos de l’auteur
Travailleur social, poète et romancier, David Goudreault ne laisse personne indifférent. Son écriture caustique lui a valu un nombre considérable de distinctions, dont la médaille de l’Assemblée nationale, la Coupe du monde de poésie, le Grand prix littéraire Archambault et le Prix des nouvelles voix de la littérature. Abattre la bête est son troisième roman.

Abattre la bête
David Goudreault : http://www.davidgoudreault.org
Roman
Couverture, mise en page et Grille intérieure : Axel Pérez de Leon
Éditions Stanké : http://www.romansstanke.ca
Groupe Librex, Québécor Média
Version papier : 240 pages
22,95$. ISBN : 978-2-7604-1196-8
Version électronique ; 16,99$. ISBN : 978-2-7604-1228-6
© photo: courtoisie
© photo de l’auteur : Marianne Deschêne