« Rain » d’Anne Teresa De Keersmaeker ou le vertige de la précision

Rain © Anne Van Aerscho
Rain © Anne Van Aerscho

Une scène garnie dans son fond d’un immense rideau de cordes qui inscrit dans le ciel un espace circulaire. Dix danseurs vêtus de tenues de villes légères, printanières, dans la gamme élégante qui va du blanc au beige soutenu. Des éclairages délicats ou parfois éblouissants comme un soleil aveuglant. Une heure et dix minutes d’un ballet à la simplicité incroyablement complexe, réglé au millimètre près et particulièrement éprouvant physiquement pour les artistes. La musique sérielle, envoutante presque obsédante de Steve Reich, indissociable de la chorégraphie, et qui maintient le spectateur dans une tension extrême, en total contraste avec l’agilité, la douceur et l’apparente simplicité des mouvements des danseurs virtuoses.

Rain est un spectacle totalement paradoxal, comme la vie; une sorte d’inlassable répétition, mais de la différence, mêlée à une imperceptible variation sur le thème du même.

Trois garçons et sept filles, dix danseurs étonnamment légers, agiles, sensibles, endurants, dans un semblant de désordre. Ils courent, s’immobilisent, paraissent perdre l’équilibre, pencher et tomber, mais ils repartent. Ils courent de nouveau, se croisent, exécutent l’air de rien de magnifiques solos ou duos, des combinaisons plus vastes parfaitement coordonnées et reprennent ensuite leurs routes de manière indépendante, tandis que le monde, les autres artistes s’agitent autour d’eux sans même s’en occuper. Tous les gestes des danseurs, toutes les chorégraphies sont mises au parfait tempo du morceau intensément rythmé, minimaliste, répétitif et génial, Music for 18 Musicians de Steve Reich.

Les danseurs ressemblent à des électrons libres mais dont les destins les contraignent à se croiser, se rencontrer, s’associer ou s’accoupler et à repartir chacun sur son propre chemin, tout à ce qu’il fait, comme si rien d’autre n’existait. Un peu comme les fragments de verre découpés d’un kaléidoscope, ils sont à la fois indissociablement liés et totalement indépendants, et forment des structures harmonieuses et inattendues pour qui les observe. Le spectateur est soumis au battement rythmé de la musique et ne peut qu’assister, fasciné, aux combinaisons que l’ensemble crée devant lui et qui fait penser à la vie dans ses dimensions à la fois solitaires et en lien les uns avec les autres, le tout rythmé par un temps inéluctable et saccadé.

Rain © Anne Van Aerscho
Rain © Anne Van Aerscho

La musique aussi, toute répétitive qu’elle soit, fait apparaître ses changements et variations subtiles. Pour le spectateur hypnotisé, elle provoque quasiment une modification de son état de conscience, le plongeant dans une sorte de rêve éveillé qui fait douter de certains changements soudainement apparus. Tout à coup, les tenues blanches et beiges se sont vues agrémentées des touches fuchsia très vives. Rien ne semble avoir changé pourtant et, pour ma part, je me suis demandé s’il s’agissait d’un effet d’éclairage. Sans doute pas, mais le spectacle est construit de telle sorte qu’il produit ce réel vertige qui l’envoûte et l’hypnotise.

Ce n’est pas sans raison que l’Opéra de Paris a inclus Rain dans son répertoire en 2011. L’œuvre crée en 2001 par l’étonnante Anne Teresa De Keersmaeker a été applaudie dans le monde entier et elle est présentée à Montréal dans le cadre de Danse Danse pour clôturer sa saison, avant sa soirée bénéfice le 11 mai prochain au Bain Mathieu.

Rain, du 4 au 6 mai 2017, au théâtre Maisonneuve, à Montréal

Dans le cadre de Danse Danse

Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker.

Compagnie Rosas
Dansé par Laura Bachman, Léa Dubois, Anika Edström Kawaji, Zoi Efstathiou, Yuika Hashimoto, Laura Maria Poletti, Soa Ratsifandrihana, Frank Gizycki, Robin Haghi/Lav Crn?evi?, Luka Švajda.
Musique Music for 18 Musicians, Steve Reich.
Scénographie et lumières Jan Versweyveld.
Costumes Dries Van Noten.
Première 10.01.2001, De Munt / La Monnaie (Brussel/Bruxelles).

Informations : http://www.dansedanse.ca/fr