« La mort d’un commis voyageur » en ouverture de la saison du Théâtre du Rideau Vert

La mort d’un commis voyageur © Photo de courtoisie
La mort d’un commis voyageur © Photo de courtoisie

Énorme succès depuis sa création en 1949, Mort d’un commis voyageur est une pièce de théâtre poignante sur l’Amérique des années 50 qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a cessé d’être représentée sur la scène et au cinéma. Ce désormais classique du théâtre moderne est surtout un texte magnifiquement écrit et construit par Arthur Miller qui parvient, par un tressage serré, à faire évoluer l’action du présent des principaux protagonistes, en représentant les souvenirs et regrets du passé du personnage principal et aussi ses fantasmes ou projections futures jamais réalisées.

Le théâtre du Rideau vert ouvre sa saison par la programmation de cette œuvre indémodable, dans une traduction et une mise en scène de Serge Denoncourt, une très belle distribution et un résultat des plus émouvants.

En arrière-plan, c’est bien du rêve américain dont il s’agit. Willy Loman est un héros très ordinaire, un simple représentant de commerce fatigué au seuil de la vieillesse, qui a parcouru les routes pendant plus de 35 ans pour accumuler les dettes et ne même pas parvenir à payer entièrement sa maison où vit sa femme et où ont grandi ses enfants, à payer ses équipements électroménagers et autres assurances et réparations, et à offrir à ses deux fils un destin plus brillant que le sien. Il s’est donné beaucoup de mal, a souffert de la solitude en étant fréquemment éloigné de sa famille et n’a obtenu ni richesse, ni reconnaissance de la part de son patron, ni rien de positif qu’il soit parvenu à transmettre à ses enfants qui se cherchent toujours pendant que d’autres ont réussi. Ses regrets de ne pas avoir autrefois suivi son frère, chercheur d’or en Alaska, l’assaillent en permanence, d’autant que la richesse est selon lui ce qui permettrait à ses deux fils de suivre la voie de la réussite sociale, et surtout à l’ainé, en qui il a mis tous ses espoirs, de poursuivre des études et de devenir un grand sportif ou un grand homme d’affaire, quelque chose de grand que lui n’a pas songé à être.

La mort d’un commis voyageur © Photo de courtoisie
La mort d’un commis voyageur © Photo de courtoisie

Willy a mis tous ses rêves de réussite en Biff, ce garçon doué et sympathique avec lequel sa relation était quasi fusionnelle à l’époque où les fils admirent leur père de manière inconditionnelle. Mais le temps et les déceptions sont passées par là. Ces deux-là s’aiment toujours et pour toujours mais avec toutes les méprises et tous les malentendus imaginables que l’amour engendre et, surtout, sans jamais admettre que l’un et l’autre ne soit pas la perfection sans faille qu’ils avaient imaginée autrefois. Biff et Willy ont chacun leur propre vie à vivre mais sont perdus dans leur relation filiale transformée en boulet pour le fils devenu un petit cleptomane menteur et sur fond de déchéance de Willy au moment où il fait un bilan de sa vie qui le déçoit. Quant au second fils Happy qui aime aussi ce père, c’est sa voie modeste et ordinaire qu’il choisira de suivre, reproduisant à l’identique le médiocre modèle qu’il lui a fourni à son insu.

Ainsi, au-delà du rêve américain, Mort d’un commis voyageur est aussi et surtout le drame banal de l’amour filial, de la déception face aux fantasmes que les parents ont sur l’avenir de leurs enfants, et de la croyance de perfection que les enfants peuvent avoir de leurs parents. La structure complexe du texte se suit bien avec ses allers et retours entre passé, présent, fantasmes et quasi divagations psychologiques du héros. Tout cela est parfaitement rendu par la mise en scène, le décor simple et le jeu excellent des trois protagonistes principaux que sont Marc Messier dans le rôle du père et Éric Bruneau et Mikhaïl Ahooja  dans ceux de ses deux beaux garçons.

La mort d’un commis voyageur, du 3 octobre au 4 novembre 2017 au Théâtre du Rideau Vert à Montréal
Texte : Arthur Miller
Traduction et Mise en scène : Serge Denoncourt
Avec Marc Messier, Mikhaïl Ahooja, Marilyse Bourke, Éric Bruneau, Sarah Cloutier Labbé, Charles Alexandre Dubé, Aude Lachapelle, Robert Lalonde, Jean-Moïse Martin, Mathieu Richard, Manuel Tadros, Louise Turcot

Informations : http://www.rideauvert.qc.ca/