Camil de Fabien Dupuis, un texte fort, un acteur phénoménal, une soirée mémorable !

Camil au théâtre petit-Champlain

Après avoir présenté une première pièce Isabelle, pendant plus de 2 ans, voici que Fabien Dupuis nous conviait le 22 mars dernier,  à la deuxième pièce de cette trilogie, Camil, au théâtre Petit-Champlain. Ce comédien qu’on a pu apprécier dans Watatow, Virginie et Tout sur moi aux côtés de Valérie Blais, s’est lancé, il y a quelques années dans l’écriture de spectacles solo, et dont il interprète lui-même ses monologues. Camil explore la relation entre un fils et son père qu’il retrouve après 25 ans d’absence.

Résumé : On connaît Daniel, sa mère et Isabelle. Maintenant est le temps d’élargir la généalogie en présentant son père, Camil. Depuis la mort de sa mère et la rencontre avec Isabelle, Daniel est seul, perdu, et victime de crises d’angoisses, sa vie se limitant aux allers-retours entre le travail, le Burger King et la maison. Lorsque Camil, après 25 ans d’absence, fait irruption chez lui par désir de rapprochement, Daniel trouve un nouvel espoir à sa vie. Il découvrira un père bagarreur, dominant et prendra conscience de la nature du travail proposé. Infiltrer de la drogue au Canada. Serait-ce la raison pour laquelle la mère aurait tenu Camil à l’écart ? Pour Daniel une question se pose : Comment s’identifier en tant qu’homme quand ton père est un délinquant?

Bien que ce soit une suite à la première pièce, il n’est pas nécessaire d’avoir vu Isabelle pour bien comprendre cette deuxième histoire que Daniel nous raconte. Mais assurément, après avoir vu cette pièce, vous aurez le goût de voir le reste de la trilogie. Dans la première pièce, Daniel parlait surtout de sa relation avec sa mère, dominante, contrôlante, et ses retrouvailles avec sa cousine Isabelle pour qui il avait toujours été un peu amoureux. Ce deuxième spectacle explore plutôt la relation avec son père, qu’il apprend à connaître puisque cela fait tellement longtemps qu’ils ne se sont pas vus.

Camil de Fabien Dupuis

Avec cette pièce, j’ai découvert un auteur avec une grande sensibilité et une grande compréhension de l’être humain. Dans les personnages qu’il crée, on voit percer la tristesse, le désespoir, le manque, derrière l’homme colérique, le drogué, le violent. Bref, Fabien crée des personnages avec des forces, mais aussi avec des failles, des faiblesses, mais il ne les juge pas. Il ne fait que constater ce qu’ils sont, des êtres imparfaits, blessés, tristes, démunis, qui se cachent derrière de grosses armures de colère, de contrôle, de violence. Ça parait qu’il les aime ses personnages aussi.

Il crée également le personnage de Daniel, celui qui est le point central de cette trilogie. On le devine avec un syndrome qui pourrait ressembler à celui d’asperger ou quelque chose du genre,  à la manière dont il se sent en contrôle et en harmonie avec les chiffres. De plus, cet être doux, qui n’aime pas le conflit, ni la chicane, qui est un peu trop naïf et influençable, qui s’émerveille de tout, comme un enfant, même s’il a 40 ans, est tellement attachant, qu’on veut que son histoire finisse bien.

Fabien, on le sait déjà, est un excellent comédien. Bien qu’on l’ait vu dans plusieurs séries télé, je dois dire que j’ai vraiment découvert sa palette de jeu dans cette pièce à deux personnages, qu’il incarne à tour de rôle. Quel acteur phénoménal! Sans décor, avec pour seul accessoire un cube qu’il transforme en chaise, ou en valise, Fabien nous fait croire à son univers. Avec un éclairage simple et épuré, et un peu de musique à l’occasion pour appuyer parfois une scène, on l’imagine en Inde, dans un bordel entré de ces filles de joie. Puis la minute d’après, on le voit dans l’appartement de son père, à désassembler des meubles. Mais surtout, l’on distingue deux personnages complètement différents, soit le père Camil et le fils Daniel, en grandes discussions, et on est tellement imprégnés par ce qu’ils se disent, ce qui se passe, comment c’est raconté, qu’on oublie que c’est un seul comédien qui incarne ces deux hommes. L’un est vieux, un peu courbé, à la démarche plus lente, et le ton de voix plus bas et le sacre facile dans la bouche. L’autre est plus jeune, plus droit, aux gestuelles hésitantes, aux signes de nervosité dans les doigts, la voix un peu moins grave et le langage plus poli et attentionné, même si parfois, il apprend petit à petit à péter une coche comme son père. Bref, en quelques gestes subtils et mouvements de la tête ou du corps, Fabien se transforme et il alterne entre Camil et Daniel instantanément, aisément, avec fluidité, sans qu’on s’en rende compte.  Et on y croit tellement!

Seul sur scène, sans décor, ni accessoire.

Et quelles émotions!! Il passe de l’enfant qui s’émerveille, au père en colère, de l’enfant qui a honte au père découragé. On alterne aussi dans les émotions de Daniel, entre le regard d’un gars gelé, à celui d’un être apeuré devant les défis que son père lui fait relever, en passant par l’extase d’une première fois, et par la douleur d’une crampe intestinale. Toute une palette de jeu dans cette pièce d’environ 1h30, où Fabien est seul sur scène avec ses personnages et son texte qui nous fait vivre une belle gamme d’émotions, qui nous fait passer du rire au drame à tout moment.

L’histoire, elle est belle, surprenante, tragique parfois, drôle à plusieurs occasions, émouvante et profonde. Sans trop donner de détails, disons que l’on voyage avec Daniel en Inde et on le suit dans sa découverte des plaisirs coquins, et son apprentissage de la vie et de la drogue aux côtés de son père. Avec lui, il prend confiance, il relève des défis et s’embarque dans des aventures pas trop orthodoxes, mais au final, cela lui permettra de grandir, de prendre de la maturité, de perdre un peu de naïveté peut-être.

Fabien Dupuis est un raconteur né. On le sent dans le texte qu’il nous livre. Et on sent qu’il a un plaisir fou à nous jouer ses monologues et à y incarner plusieurs personnages.

Entretien avec Fabien Dupuis après la pièce

Entretien avec Fabien Dupuis après la pièce

À la fin de la pièce, les gens qui le voulaient, pouvaient rester pour l’entretien avec Fabien qui a raconté la genèse de ses premiers écrits, de la pièce Isabelle, puis celle de Camil et aussi, il nous a parlé de la troisième pièce Daniel, dont il a pas mal toutes les grandes lignes en tête, mais dont il lui reste à écrire le texte, qu’il présentera probablement dans 1 an et demi.

Avec franchise, candeur, et beaucoup d’humour, Fabien Dupuis discute avec le public avec passion sur son plaisir de jouer seul sur scène, de cette belle expérience que fut d’écrire, puis de jouer ces divers personnages. Il dit affectionner de jouer le père qu’il trouve tellement égocentrique. Il raconte comment chacun des personnages petits et grands sont inspirés soit des périodes de sa vie, ou des amis à lui, ou encore des gens qu’il a rencontrés durant son année qu’il a vécue en Inde. Ainsi, c’est du vécu qu’il raconte dans ses pièces, mais dont il a exagéré certains aspects.

Il explique comment il voit cette trilogie, qu’il qualifie de stand-up tragique, puisqu’il est seul sur scène et cela est basé sur un fond tragique.  La première pièce, cette relation avec sa mère, c’est l’enfant qui veut plaire à sa mère. La deuxième pièce, c’est l’homme qui veut ressembler à son père, s’identifier à lui en vieillissant, qu’il soit fier de lui, tandis que la troisième pièce sera l’émancipation de Daniel, là où il devient mature, se prend en main, prends sa place comme homme. Et dans cette dernière pièce, il prévoit ramener son père et la jeune fille qu’il a rencontrée en Inde, et on devrait mieux connaître le personnage de Carotte dont on parle dans la deuxième pièce.

Fabien Dupuis

Au final, Fabien explique qu’il pourrait éventuellement présenter les trois pièces dans une même journée, un même spectacle, ce serait son défi ultime. Et les gens du public présent à l’entretien ont fortement apprécié cette idée.

À la fin de l’entretien, il nous mentionne également qu’il travaille sur un autre projet d’écriture avec Jean-Marc Dalpé, pour une série télé sur les hommes violents, pour TVA. Il aime ces personnages en colère, surtout quand tu réussis à te servir de cette colère pour la canaliser et foncer dans la vie. Et il sait que derrière cette colère se cache une grande tristesse, une détresse.

Donc, les gens du public ont grandement apprécié ce moment privilégié avec Fabien Dupuis qui a jasé avec eux pendant un bon 30 minutes. Quelle belle soirée mémorable!

CAMIL est produit par Audiogram

Auteur et interprète : Fabien Dupuis

Conseiller dramaturgique : Jean-Marc Dalpé

Mise-en-scène : Marc Béland et Alix Dufresne

https://www.audiogram.com/fr/artiste/fabien-dupuis

http://www.theatrepetitchamplain.com/

crédit photos : Shirley Noel