Amour et Libertinage

 

Le sexe apaise les tensions. L’amour les provoque.

Woody Allen

Vendredi soir. Vous invitez des amis à la maison. Vous préparez un bon repas et le vin coule à flots. Après le souper, entre une gorgée de café et une bouchée de gâteau au fromage, un de vos convives au cœur brisé s’élance : « avouez que c’est compliqué l’amour! ». « Pantoute! » « Trop d’accord! ». Les points de vue autour de la table diffèrent tout comme les situations amoureuses. Ils sont quinze à vous parler d’amour. Quinze auteurs. Ceux du recueil de nouvelles Amour et libertinage par les trentenaires d’aujourd’hui (Les 400 coups) dirigé par les journalistes Elsa Pépin et Claudia Larochelle.

Vous l’aurez compris, les auteurs sont tous (ou presque) des trentenaires nés dans les années 70.  Ils s’appellent Claudia Larochelle, Elsa Pépin, Tristan Malavoy-Racine, Maxime Catellier, Matthieu Simard, Tassia Trifiatis, Rafaële Germain, Sophie Cadieux, Guillaume Corbeil, India Desjardins, Jean-Simon Desrochers, Stéphane Dompierre,  Émilie Dubreuil, Alain Farah et Véronique Marcotte. En quatrième de couverture, on nous annonce que les quinze auteurs vont nous livrer « leur vision de l’amour non dénuée d’humour noir et d’autodérision, mais aussi nourrie de rêves et d’idéaux propres à leur temps ». Leurs parents, issus de la génération hippie, leur ont légué le symbole ultime de la révolution sexuelle : la li-ber-té.

De cette liberté découlent des choix qui s’apparentent à ceux que nous offre une société de consommation. Comment devenir Madame Bovary de Sophie Cadieux illustre bien ce phénomène. « Il y a d’abord des amis d’amis ou des photos de Profil qui sème l’envie. Des amies qui vous vantent cet excellent « produit », ou bon parti resté trop longtemps sur les tablettes, ou fraîchement de retour sur le marché. Il y a toujours cette possibilité utopique qu’il soit la denrée rare, la perle perdue qui a su passer sous le nez de toutes les filles de la métropole ». Avec l’avènement de Facebook, Twitter et compagnie, les réseaux sociaux facilitent (ou compliquent) les rapports humains. Tout n’est plus noir ou blanc. Mais tout est possible.

La plupart des textes montrent la multitude de possibilités de l’amour. Souvent avec un masque humoristique.

À lui seul, le texte de Maxime Catellier,  Je vous ferais l’amour mademoiselle, ce serait un scandale!,  pourrait bien résumer la sensibilité qui se cache derrière tous les textes humoristiques ou tordus. Ici, le personnage se met à nu. Il est lucide. Un peu triste sans être aigri. Ancré dans le moment présent, mais rêveur. C’est aussi un romantique assumé qui n’a rien à voir avec celui qui croit que romantisme rime avec boîte de chocolat, mousse de bain à la rose et bouquet de fleurs en plastique. Il est sincère et authentique. À mi-chemin entre l’essai et la nouvelle, le texte de Maxime Catellier est un des plus brillants du recueil. Son texte est riche, lumineux et contrairement à certaines nouvelles du recueil, sa prose est précise, articulée, bref, impeccable.

Le texte de M.Catellier démontre que l’auteur éprouve un amour des mots et des écrivains comme c’est le cas deplusieurs textes du recueil. Si bien que les références au monde littéraire débordent.  Je vous aime tous de Véronique Marcotte n’y échappe pas. L’intrigue vous fera penser au livre Moderato Cantabile de Marguerite Duras, puisque l’héroïne du récit devient complètement obsédée par l’histoire d’un meurtre passionnel comme c’est le cas dans le livre de Duras. Cette nouvelle, la première du recueil, est particulièrement réussie, et la chute, brutale.

Par contre, il ne faudrait pas croire que toutes les nouvelles sont pertinentes et divertissantes. Le recueil est inégal et parfois, les textes contiennent des erreurs (ou des coquilles). Fort heureusement, ce n’est pas le cas de celui de Jean-Simon Desrochers, qui a écrit Six jours en été pour une femme froide, où il met en scène une femme qui se donne comme mission de décrocher l’homme de sa vie en une semaine. Un vrai délice. À surveiller ce mois-ci : Jean-Simon Desrochers publiera un roman intitulé Le sablier des solitudes aux éditions Herbes rouges.

Il n’y a pas que M. Desrochers qui soit prolifique : les poissons du texte de Tristan Malavoy-Racine sont aussi féconds! Les seiches géantes de l’aquarium du personnage principal sont une véritable obsession pour lui. Le héros de La molécule animale, un scientifique, passe le plus clair de son temps à regarder ses poissons en train de copuler. Tout comme dans la nouvelle Axolotl de Julio Cortazar, il deviendra peu à peu cinglé, délirant, jusqu’à sombrer dans la folie.

Aussi, si vous pensez mettre la main sur un livre que « vous ne lirez que d’une main », comme disait Sade, oubliez ça. Malgré la couverture rouge et le titre provocateur, il n’y a que le texte de Stéphane Dompierre, J’aime (ta chatte), qui soit érotique. Dommage! C’est peut-être parce que le libertinage est tellement répandu, qu’il est devenu blasant d’en parler de manière explicite.

À la lecture du recueil, on pourrait dire que la liberté et l’abondance de choix dictent les comportements des trentenaires. Les personnages sont égoïstes, inconstants, peureux, mais aussi vulnérables, sensibles et amoureux. Est-ce uniquement cette « liberté » qui génère l’état d’esprit torturé des trentenaires? Chose sûre, si l’on compare les thèmes abordés par les auteurs des séries télé comme les Invincibles, C.A et Prozac avec ceux d’Amour et Libertinage, on se rend compte que ce sont les mêmes qui provoquent leur désillusion. La plupart des  personnages mis en fiction, autant à l’écran qu’à l’écrit, sont traversés par la peur de l’engagement, la désillusion, le rêve. Parce que ce constat est déprimant et désolant, il n’y a qu’un souhait à leur faire: celui d’une quarantaine plus réjouissante.

Prix:19,95$

Nombre de pages: 205

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