Je vous écris de mon camion. Histoires de route

« Je suis camionneuse. Le camion, c’est mon bureau, les routes de l’Amérique, mon territoire. Je travaille avec des millions de collègues qui sillonnent ces couloirs, le jour comme la nuit. Ma vie de tous les jours n’a rien d’ordinaire. Quand je me réveille, je suis toujours ailleurs. Mon bureau a une vue panoramique. J’aimerais vous emmener la voir avec moi. »

Sandra Doyon est une nomade des temps modernes. À bord de son 40 tonnes, elle sillonne les routes d’Amérique du Nord depuis l’an 2000. En 10 ans, elle a fait 75 fois le tour de la Terre. C’est plus de 3 000 000 de kilomètres.

J’ai lu ce livre comme je l’ai fait avec Avard chronique de François Avard, et la frousse autour du monde de Bruno Blanchet.  Je lis un chapitre, une anecdote à la fois, que je savoure, que je laisse fondre sur ma langue. Puis, je prends le temps de vivre l’émotion qui s’y rattache et je le digère par la suite, en y apportant ma réflexion personnelle. 

Ces anecdotes sont répertoriées par l’endroit où Sandra se trouve, sa destination, sa cargaison et la température qu’il fait à ce moment, ainsi que le mois et l’année. 

Et des histoires, il y en a des plus variées, toutes à saveurs différentes. Que ce soit en Alberta avec un chargement de pneus, ou en Californie en attente d’une cargaison de fraises pour rentrer au Québec, ou en Saskatchewan avec des Obus millésimés 1985, ou en Floride, avec des bleuets du Chili et des mûres du Mexique, ou en Georgie avec de la litière à cheval, Sandra se raconte dans de courts récits, pèles-mêles, où elle déjoue sa solitude, porte un regard émerveillé sur ce qui l’entoure et nous donne l’envie des voyages, à travers ses yeux, ses images. 

 Elle y décrit ses rencontres fortuites « Ruby sert le café dans un Starbucks… Avec ses cafés, elle sème la joie en saupoudrant du sucre… Joseph… malgré ses 84 ans, je vois un bébé qui gigote derrière son masque de peau plissée. Ça me donne une bouffée d’énergie.»   

Elle nous délecte de ses mésaventures où l’on en apprend plus sur son métier, comme la traversée des douanes en pleine nuit, son expérience de la loterie antidrogue «Tous les mois, on tire au sort 20 % de chauffeurs de chaque flotte pour un test de dépistage de drogue.» Et l’histoire de l’accident entre le mastodonte de Roger et une petite berline grise « … j’ai réalisé que les automobilistes sont souvent inconscients de l’espace dont nous avons besoin pour freiner sans les frapper… » Cela m’a permis de mieux comprendre et apprécier ces gros camions qui circulent autour de nous. 

Elle nous fait part de ses découvertes diverses, comme un BBQ texan au charbon de bois. « Voilà le secret des Texans : … rôtir la viande des heures durant sur une douce braise et de faire fumer du bois de mesquite à côté pour parfumer la viande sans la gâter.» et le sous-sol et les vitrines de munitions sur la Base des Forces armées Canadiennes où elle livre des obus. « Des bombes, des missiles, des obus, des balles, des grenades exposés en vitrine… de toutes les couleurs… il y a même un gros obus tout rose et tout mignon avec le drapeau britannique… » 

Elle nous éblouit par sa poésie « Les lucioles me font la leçon : pour faire briller le ciel, nul besoin d’explosions.» Et parfois elle nous parle de thèmes inhabituels, comme son amour pour son camion, son fidèle compagnon. « Mon camion est mort gelé, mort de frette, mort étouffé. J’ai bien tenté de le ranimer, mais faire le bouche-à-bouche à une baleine par moins 45 degré, c’est plutôt compliqué… quitter la cabine de mon camion gelé, c’est comme laisser ma maison de force à cause d’un sinistre. » 

Elle nous questionne avec ses réflexions sur des sujets très actuels, comme cette femme, dont l’époux va partir pour la guerre en Irak « … elle préfère ne pas élever des enfants sans savoir s’ils pourront un jour serrer dans leurs bras autre chose que l’image en carton grandeur nature de leur père, fournie par l’armée.» ou cette réflexion sur les fruits qu’elle transporte du Mexique et du Chili «Tous ces kilomètres parcourus pour que l’on puisse manger des mûres et des bleuets frais en février me laisse un petit goût amer. Je songe aux tonnes de gaz nécessaires pour endormir leur mûrissement et, parfois, je me dis qu’il n’y a pas que les mûres et les bleuets qui sont endormis.» 

Elle nous partage ses états d’âme, « Le lever du jour représente un instant de joie dans ma journée, une illumination, surtout quand je roule vers l’est et que les rayons m’en mettent plein le pare-brise… un immense sentiment de bien-être m’envahit, un sentiment de fierté parce que même si je ne sais pas où les routes me mènent, j’y vais quand même. Parce qu’avancer sur une route, c’est aussi aller au bout de ses rêves.» 

Il est possible de voir sur une carte au début du livre, tous les endroits d’où proviennent ses anecdotes. C’est très impressionnant de voir toutes les villes et États et provinces qu’elle a traversés. 

J’ai beaucoup apprécié aussi les petits interludes entre les chapitres, où l’on retrouve des citations, des petites phrases éparpillées sur un dessin d’une route. Ce sont probablement des pensées qui traversent l’esprit de Sandra, au fil de sa route. 

Pour décrire ce livre de Sandra Doyon, et probablement décrire l’auteure et camionneuse aussi, je suis tentée de citer Sandra elle-même « Beauté, simplicité, authenticité. Toutes les qualités du bonheur.» Et je dirais toutes les qualités de ce livre et de son auteur.

 

 

Sandra Doyon est très présente dans les médias sociaux :
Elle blogue (http://camionneuse.blogspot.com/), elle facebooke et elle twitte son quotidien de camionneuse à une vraie communauté de fans !

 224 pages

Prix : 24.95 $

 Le blogue de la camionneuse signé Sandra
camionneuse.blogspot.com/

Le site des éditions Goélette
www.editionsgoelette.com