Mémoires d’une enfant manquée

Mémoires d'une enfant manquée

1974. Jeanne, fillette dotée d’un verbe coloré et d’une impitoyable lucidité, refuse d’être une enfant, le nom que les adultes donnent à leur progéniture « pour nous rapetisser au lieu de nous élever ». Elle aspire à devenir un grand homme comme Jésus Christ et Jacques Cartier, avec qui elle partage ses initiales, ou encore comme ce rescapé des camps venu libérer les femmes d’ici. Confrontée aux adultes peu responsables qui peuplent son univers, Jeanne apprendra à oublier sa petite personne pour cultiver le devoir de mémoire.

Ce livre est extrêmement bien écrit. Brigitte Pilote a une plume magique, je dirais. Elle transporte le lecteur dans la tête et le cœur d’une enfant qui porte un regard lucide sur la société qui l’entoure. Avec les yeux de l’innocence et la pureté de l’enfant, le lecteur est dérouté par la sagesse de cette jeune fille qui a de grandes ambitions et se sent plus mature que les jeunes de son âge. Au fi de ses rencontres et expérience de vie, à l’école, avec ses parents, parni les gens de la commune, Purusha son maitre à penser, Damien, et l’équipe de tournage d’un film, Jeanne apprend la vie, dénonce l’irresponsabilité des adultes envers leurs enfants, se forge une personnalité qui l’aidera, malgré quelques erreurs de parcours, à surmonter les obstacles de la vie.

Dans ce bouquin, on se rend compte que les enfants s’adaptent à toutes les situations et se trouvent des échappatoires pour pouvoir survivre à la maltraitance et à l’isolement. Ce livre est bouleversant à certains moments, drôle parfois, émouvant souvent et surtout, il porte à la réflexion, sur l’influence et la responsabilité des adultes envers les enfants.

L’histoire est divisée en trois moments distincts dans la vie de Jeanne. Son enfance avec une mère qui ne l’a pas voulu dès la naissance et où elle ne se sent pas du tout comme les autres enfants de sa classe. Elle aime proclamer qu’elle n’est pas une enfant, puisqu’elle ne veut pas de jouet et n’a pas besoin de l’amour d’une mère ni de son attention. «Je ne suis pas une enfant parce que les enfants sont des morveux qui ne pensent qu’à s’amuser et qu’on peut faire chanter avec de la pacotille : des jouets, des bonbons… » On voit bien que c’est un mécanisme de défense qu’elle utilise pour ne pas sentir la peine et la douleur d’être délaissée. Elle est éveillée et très débrouillarde, imaginative et rêveuse comme la plupart des enfants. Elle est très touchante.

La deuxième partie se concentre sur la vie dans la commune, où Jeanne doit user de tous ses atouts pour survivre. Grâce au seul adulte qui se trouve dans la section des enfants pour les surveiller et les éduquer, Purusha, Jeanne réussit à se faire une carapace et à prendre la relève de ce dernier quand il ne suffit plus à la tâche  « Lève ta hache bien haut et détache-toi de ce qui ne fait pas ton affaire, c’est tout… C’est pour mon bien que Purusha m’a appris à manier la hache du détachement. C’est pour mon bien que je dois oublier tout ce que je ne possède plus. C’est pour notre bien à tous que je dois faire confiance à ma mémoire et me souvenir de ce que Purusha nous enseigne

La troisième partie du livre se consacre à l’après commune, alors que les enfants après s’être sauvé des adultes, sont récupérés par la société et une maison de production de film. Encore une fois, Jeanne va apprendre à la dure à s’adapter à nouveau et à défendre ses intérêts. Personnellement, j’ai moins aimé cette partie du bouquin, qui devient parfois redondant et s’éternise. On sent rapidement vers où s’en va l’histoire, mais c’est un peu lent à y arriver.

Somme toute, pour un premier roman, je trouve que Brigitte Pilote a bien su toucher et dérouter son lecteur. J’ai bien aimé ce livre et j’ai beaucoup apprécié les longs moments de réflexion de vie qu’il m’a apportés.

Brigitte Pilote

Née en 1966 sur la rive-sud de Montréal, Brigitte Pilote est titulaire d’une maîtrise en études littéraires à l’UQAM. Elle a été rédactrice, puis recherchiste et auteure dans le domaine de la production télévisuelle, tout en élevant ses deux filles. Elle se consacre désormais à l’écriture de fiction. Mémoires d’une enfant manquée est son premier roman.

Prix : 19.95 $

Nombre de pages : 160 pages 

Éditions Stanké

http://www.edstanke.com