Proust à Sainte-Foy d’Hélène de Billy ou la littérature pour redonner un sens à sa vie

Proust à Sainte-Foy
Proust à Sainte-Foy

Un banal vol à l’étalage à la SAQ déclenche, sous forme de thérapie pour son auteure Marquise Fortier, et pour ses deux filles Irène et Mimi, un voyage en littérature qui devient peu un peu pour elles et leur entourage, en l’occurrence les membres de la « pension prison de retraite » où vit Marquise Fortier, un voyage initiatique salvateur. Ordonné par un naturopathe, Aurelio Conti, consulté pour cause de soins entrepris en échange d’une non-poursuite par les autorités après ce larcin qui relève du vol autant impulsif que compulsif, et guidée par Mimi spécialiste de Marcel Proust du temps de ses études,  la lecture d’À la recherche du temps perdu va permettre à chacun(e), après les doutes sur l’improbabilité de la démarche de renouer les fils de son histoire. En laissant remonter son vécu à la surface, à l’instar de la fameuse madeleine de Proust, et en leur donnant un cadre, une grille de lecture de leur vie et rapports, cette lecture par les analogies révélées va leur permettre de repartir sinon vers leurs destins du moins vers leur histoire en se reconstituant tout à la fois son passé et un nouveau cercle de sociabilité et dynamique de vie. Ce parcours, l’auteure, Hélène de Billy nous le restitue sous la forme du roman choral dans lequel le vécu de chacun(e) construit celui de l’autre.

 Proust est un auteur qui fait facilement peur. L’ampleur de son œuvre (nombre de pages, longueur des phrases)  a souvent été de nature à décourager le lecteur perdu dans le foisonnement du texte et objectif du projet. C’était donc un pari audacieux que ce livre de la part d’Hélène de Billy. Introduire le lecteur dans des histoires de vies par le truchement d’un auteur réputé ardu. Construire en à peine quelques 110 pages un cheminement cohérent de personnages en prenant pour guide une œuvre qui en compte, elle, quelques milliers et, qui plus est, sans la dénaturer ni la simplifier au point d’en faire une caricature relève de la prouesse. Proust à Sainte-Foy non seulement réussit à réunir et lier de façon intelligible pour le lecteur l’histoire de ses héroïnes et le roman de Proust mais  aussi  rendre un vibrant hommage à cette œuvre unique. Le roman nous donne même l’envie de nous plonger à notre tour dans À la recherche du temps perdu et, à sa lumière, de relire nous aussi notre vie et de repartir, redémarrer; de suivre le conseil que nous livre Hélène de Billy à travers Aurelio Conti : La littérature est un excellent instrument pour sortir de soi. Et plus spécifiquement encore sur le choix arrêté de Marcel Proust : J’ai pu le vérifier, l’abandon de la lecture précède souvent l’apparition des premiers symptômes de la dépression… Privés d’histoires mes patients ne savent plus ce qu’est un baobab, un astrolabe, une rose, une cotte de mailles. Mon rôle est de ramener un peu de souffre et de foudre dans leur cerveau engourdi. …L’ami Marcel fera l’affaire. Mine de rien son truc est très costaud. Il faut se montrer ouvert au rythme d’un texte que la plupart de gens envisagent comme un Everest insurmontable. … Pourquoi la poésie, pourquoi la samba, pourquoi Proust? : Parce que ces manifestations sont le produit des chagrins. Ils vous serviront de compagnons d’armes. Ils vous fortifieront le cœur. Car il convient de combattre les larmes par les larmes, l’abandon par l’amour et la perte par plus d’amour encore.

 Loin d’être une utilisation sacrilège du grand auteur, ce qui quelques aficionados gardiens du temple « les proustiens » ne manqueront pas d’imaginer à la seule lecture de la quatrième d’une couverture, «comment associer Proust à une minable pension de retraite de la banlieue de Québec habité de messieurs et surtout mesdames tout le monde !» les entend-t-on probablement déjà dire, ce roman est au contraire un vibrant hommage à une œuvre qui se révèle ainsi à nous comme universelle et atemporelle en même temps qu’accessible. Il est aussi une reconnaissance de la forme audio qui se développe aujourd’hui pour les livres, qui les ouvrent autant à ceux que la forme écrite rebute qu’elle restitue aux fervents lecteurs toujours ouverts à d’autres modes de transmission la magie des mots, pour peu que la personne qui leur prête sa voix soit à la hauteur. Là encore, Hélène de Billy sous le couvert d’Aurelio Conti nous en livre une part du secret : Si je recommande la Recherche, c’est qu’avec ses centaines de milliers de mots, ce volcan a un effet calmant sur mes patients. Lâchés sous forme de particules auditives les longues phrases et les rythmes jazzés vous bercent.

 Avec Proust à Sainte-Foy Hélène de Billy, écrivain, scénariste, auteure entre autres d’une biographie remarquée de Riopelle, journaliste culturelle au Devoir et à l’Actualité, nous livre aussi un regard vivant, alerte en même temps que plein de respect et de tendresse tant pour ces personnes qui affrontent leur fin de vie et la prennent en main que pour leurs enfants, adultes eux aussi et qui, bien que confrontés à leur propre histoire, souhaitent les accompagner. La société québécoise par contre, par le cadre de vie semi concentrationnaire qu’elle tolère pour ses personnes âgées, une réalité qui nous le savons tous n’est pas que dans les univers de romans ne s’en sort pas à juste titre, grandi. C’est aussi cela la puissance  de ce roman.

 Proust à Sainte-Foy
Auteure : Hélène de Billy
Roman
Éditions : Leméac
Publié sous la direction de Marie-Josée Roy
Couverture : Sébastien Côté /iStockphoto   Trinacria / Shutterstock
120 pages ; Format broché 14 x 21.6 cm.
ISBN : 978-2-7609-3367-5
Dépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec 2013,
Avec le soutien de : Fonds du Livre du Canada; Conseil des Arts du Canada; Sodec, Québec
Prix suggéré : 17,95 $ avant taxes.
Offert dans toutes les librairies dès le 14 août 2013

 © photo: courtoisie

CLIQUER POUR COMMANDER CE LIVRE: