La mort s’invite à Pemberley de P.D.James : si délicieusement anglais

P.D. James,  La mort s'invite à Pemberley © photo : courtoisie
P.D. James, La mort s’invite à Pemberley © photo : courtoisie

Nous sommes en Angleterre au début du 19ème siècle Les Darcy terminent en leur domaine terrien de Pemberley de préparer le célèbre bal annuel de lady Anne (du nom de la mère de Monsieur Darcy). En cette veille du grand jour, alors que toute la domesticité s’active et que les premiers invités, des proches du couple, cousin, sœur et beau-frère, ami intime, sont déjà arrivés, la sœur d’Élizabeth arrive en hurlant, en pleine tempête : Son mari, Wickham, l’indésirable et banni de la famille et par ailleurs fils de l’ancien régisseur de la famille Darcy, et son ami le capitaine Denny se sont disputés. Ils ont quitté la voiture qui les transportait et ont disparu en pleine forêt dans le domaine. Depuis plus rien, sinon des coups de feu. Prestement, le maître de maison et ses invités repartent avec le cocher aussi terrorisé que sa passagère pour aller à la recherche des deux hommes. Très vite, ils découvrent que l’irréparable s’est produit et que tout accuse Wickman dans la mort de son ami. Ne s’accuse t-il pas d’ailleurs lui-même d’avoir tué cet homme, son seul ami. L’enquête est menée rondement et le procès parait devoir confirmer ses conclusions malgré les espoirs mis par l’accusé, ses défenseurs et sa famille dans les lacunes et faiblesses de l’accusation.

La mort s’invite à Pemberley n’est donc pas un roman policier à proprement parler mais il correspond plutôt à une étude de mœurs et de caractères dont la trame est autant l’histoire d’une famille de haut lignage et de ses modes de vie au début du 19ème siècle que celle d’une enquête et d’un procès à cette époque. En cela, il s’inscrit plus dans la tradition des romans de P.D. James tels que La meurtrière que dans celle des enquêtes menées par le célèbre inspecteur Adam Dagliesh dont, entre autres,  La salle des meurtres, ou Une mort esthétique.

On l’aura compris, pour ce nouveau roman, La mort s’invite à Pemberley, en plus de l’intrique elle-même et du plaisir de découvrir une autre de ses créations, la célèbre auteure P.D. James, passionnée de l’œuvre de Jane Austen nous offre, ce dont tout lecteur d’un roman sentimental ou d’aventures rêve : Lire sa suite. Savoir enfin ce qui se passe après le baiser final, the happy end! Et pour une écrivaine aussi « british » que P.D. James quoi de plus symbolique que de choisir de donner suite à l’un des plus célèbres romans et chefs-d’œuvre de la littérature anglaise : Orgueil et Préjugés de Jane Austen. Le pari est osé car aussi excellent l’auteure soit-elle son livre risque fort de n’exister que par rapport à son illustre prédécesseur.

En soi, en effet, le livre est particulièrement plaisant à condition bien sûr de ne pas y chercher le suspense d’une intrigue policière mais bien plutôt ce qu’est ce livre, à savoir, est un tableau d’une certaine Angleterre. La vie de ces grands domaines terriens, de la vie codifiée des maîtres et valets est saisissante dans son rendu sans que l’on verse dans l’image d’Épinal ou le portrait à charge  La complexité et la subtilité notamment des rapports entre fidélité et devoirs de chacun envers l’autre nous éclairent sur le fonctionnement d’une société qui nous est devenue si lointaine. Mais, au-delà de la description d’un système, la force de ce livre est aussi dans la restitution de l’atmosphère. On se sent dans l’histoire, dans le domaine de Pemberley.

Mais se sent-on pour autant dans le Pemberley et au milieu des héros de Jane Austen? Cela pourrait être à la fois la faiblesse et le paradoxe de ce roman. En effet, malgré un premier chapitre qui nous resitue efficacement dans la trame et les personnages d’Orgueil et Préjugés, il y a fort à parier qu’un lecteur qui ne connaîtrait pas l’œuvre de Jane Austen ne pourrait en fait pas s’y retrouver. Car pour la description des personnages comme des histoires et liens familiaux qui les unissent P.D. James tient trop souvent pour acquis que le lecteur sait. De ce fait il y a comme une certaine « paresse narrative » dans l’étude et le rendu des personnages, des situations préexistant aux évènements et à leur influence sur l’histoire en cours. La richesse vient donc plus de nos souvenirs que de ce que l’auteur nous conte. Par ailleurs, la complexité de la psychologie des protagonistes ne sont pas celles du livre de Jane Austen. Ce qui est peut-être d’autant plus regrettable que le ressort romanesque d’Orgueil et Préjugés repose justement sur une complexité des êtres derrière les conventions, le carcan de la société et le paraître. Ainsi Élizabeth est devenue une membre à part entière de la Gentry. Acceptée de tous, elle aspire au paisible bonheur de ce qui est devenu sa classe et son rang, amoureuse de son mari, mère aimante et maîtresse toute dévoué aux bonnes œuvres et au bien être de sa domesticité. Darcy quant à lui s’est muté en un bon mari, bon père, bon maître. Chacun est dans le rôle que la société lui assigne ni plus mais aussi ni moins. Un modèle d’équilibre et de sagesse de la situation, du regard sur la société, des sentiments.  Mais peut-être est-ce là l’avenir vers lequel Jane Austen avait elle-même dirigé ses personnages comme les lieux dans lesquels ils évoluent. Car Pemberley dans Orgueil et Préjugés incarne bel et bien cet idéal de félicité familiale dans lequel Jane Austen à la fin de son livre installe le jeune couple. Et finalement n’est ce pas ce que recherche tout lecteur d’un livre romanesque?

Alors ne boudons pas notre plaisir car en plus de nous permettre de continuer de partager le bonheur amoureux et les péripéties familiales des héros d’Orgueil et Préjugés comme nous rêvions de pouvoir le faire, P.D James nous plonge avec délectation dans une bonne intrique et le dépaysement d’une atmosphère et d’un style « so british » qui sont la marque que nous adorons des romans anglais historiques comme policiers.

 La mort s’invite à Pemberley
Auteure : P.D. James (Phyllis Dorothy James)
Roman policier
Éditeur format de poche : Le Livre de Poche : www.livredepoche.com
Éditeur France : Fayard
Titre original : Death comes to Pemberley
Éditions : Faber and Faber Limited Londres
Traduit de l’anglais par Odile Demangue
Couverture :
© Jeff Greenberg / age fotostock; © Epics / Hulton Archives / Getty Images © ngaga35 – Fotolia.com. Réalisation : Rampazzo& Associés.

ISBN : 9782253164982 (Papier)
400 pages; broché
13.95 $

Octobre 2013

Rue des Libraires : http://www.ruedeslibraires.com/livres/mort-invite-pemberley-phyllis-dorothy-james-9782253164982.html/caf8ec02784635d1b78048de32bb4d86767dd5525e123dbb693840ab679f2f5586b34d032e07dde2a1f959fd9b31a3bd13ce9ad0553f15d17965963e0820dcac/?u=4850

© photo : courtoisie