Le Souffleur de Verre : Denis Lavalou redonne la parole aux mots du 14 janvier au 1er février à l’Espace Libre

  

Le Souffleur de Verre
Le Souffleur de Verre

« Ils montaient vers le Nord dans le noir de la nuit, et si l’on peut encore donner un sens au mot prière, je suis certain qu’au volant de sa vieille Dodge, Parker priait. »

Au départ, il y a cette phrase de l’écrivain québécois Trevor Ferguson, qui entraîne à sa suite un précipité de répliques sans-queue-ni-tête, lesquelles vont et viennent à un Train d’Enfer dans la tête de l’homme de théâtre Denis Lavalou, cette matière s’alimentant pas à pas d’amas de réalité jusqu’apparaissent des personnages aux caractères archétypaux représentant autant de traits d’un être humain d’anticipation, dernier survivant d’un monde qui, pour en avoir trop pris, arrive en état de décomposition.

A peu près une décennie et demie parsemée de périodes d’écriture plus tard, c’est dotées d’une histoire que les peurs d’un XXIe siècle plus ou moins conscient de déraper sans pour autant cesser d’accélérer prennent la parole à travers les treize voix du Souffleur de Verre.

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Ils sont assis depuis des lustres, attendant la mort, s’abandonnant sur le bord de la table de la salle commune d’un dernier endroit de bout du monde encore un peu debout, quelque part sur la route du Nord.
Ils sont usés de ressasser inlassablement une seule et même histoire, mentant tant et si bien qu’ils en oublient qu’ils ont depuis longtemps laissé sombrer leur mémoire.
Ils s’ensevelissent de concert sous le vacarme incessant de leurs voix assourdies ; ils s’évertuent en vain à recouvrir de bruit le vide béant d’avenir qu’ils se sont promis et n’attendent plus aucune nouvelle, bonne ou mauvaise, en provenance de la vie.

Qu’est-il arrivé au Souffleur de Verre ? Qui a vu, et quand, s’en aller Parker ?

Ils tournent en rond, triturant le temps autour de ces deux sempiternelles questions et répétant par cœur leurs petites opinions ; ils ne s’arrêtent surtout pas, remplissant de paroles en l’air l’éternité de leur présent qui ne repose sur aucune volonté d’acte d’évasion.
Ils n’ont plus que s’évanouir pour se soustraire un moment à la somme des mourants réunis dans leur dernière maison, pour se taire un instant, tous ensemble, à l’unisson.
Il n’ont même plus de noms, seulement des numéros qui les retiennent prisonniers, vissés sur leur îlot, leur minuscule point de repère qu’ils évitent, en sursis, de laisser dériver à l’aventure, dehors, dans le chaos, s’y cramponnant avec leur désespoir malade et leurs restes de mots.
A tour de rôle emportés par l’impulsion salutaire d’une fatigue de colère, ils parlent parfois de faire, et en parlent sans faire, se pétrifiant les uns les autres, à tout prix solidaires.

Survient alors l’autre et ses envies de tout voir, de tout savoir.

A peine invité à s’asseoir, celui-là ne s’attardera que le temps que les timides réponses à ses questions importunes ne lèvent le voile sur une trop lourde vérité et que n’éclate contre lui avec violence l’aversion étroite de ceux qui se sont condamnés, sans être tentés d’aller voir, d’aller savoir plus loin, à leur propre vacuité de suite dans les idées.

Seul, l’Etranger reprendra alors la route sur laquelle il s’était arrêté dans un simple élan de curiosité, ouvrant la voie par ses traces de Parker ressuscité aux dernières semences d’avenir de la communauté désolée qui ne sait plus comment retenir ses enfants sans avoir à les dévorer.

Restant sur place, stupides et silencieux, les morts-vivants rassureront leur terreur de l’autre et de l’ailleurs par ce raisonnement même plus trompeur : la route du Nord ne mène à rien puisque personne n’en revient.

« On pourrait peut-être aller plus loin, mais aller plus loin sur rien, c’est pas tentant. »

La petite apocalypse du cœur, l’apathie totale de l’amour qui meurt, telle est l’horreur pour Denis Lavalou qui, afin de contrer peut-être cette course de l’humanité vers un vide d’avenir de moins en moins incertain met en scène ce conte cruel à l’absurde Beckettien, Ionescien dénonçant l’extrême insensibilité de bientôt demain.

Les répliques théâtrales lui étant venues comme les mouvements d’une partition musicale, Denis Lavalou s’est appliqué à monter un corps choral en vue d’interpréter en creux le cri de l’âme que poussent partout les mots, à peine écrits par des mains de computers humains contemporains, réduits à la va-vite et sans plus respect aucun sur les écrans tactiles et autres réseaux sociaux.
Fidèle à son ADN, le co-fondateur du Théâtre Complice et créateur du Souffleur de Verre rend aux mots ce qui leur a été pris, à l’envers, via le renouvellement et la verve de sa poésie.

Nico Lagarde, Jean-François Blanchard, Léa-Marie Cantin, Marie-Josée Gauthier, Jasmine Dubé, Vincent Magnat, Bernard Meney, Carmen Ferlan, Claude Lemieux, Jane Pelletier, Henri Chassé, Olivier Courtois + Marcel Pomerlo parviennent à merveille à composer un tout portant loin après les oreilles leurs partitions plus qu’individuelles pour délivrer à l’esprit des spectateurs présents le sens qui se donne à entendre, précieux, terré derrière l’invraisemblable vacarme des sons.

Visuellement, les vêtements sales et troués des survivants autant que leurs mines maladives et délavées participent à l »environnement pour raconter l’état de délabrement d’un monde terminé dont la lumière blafarde se fond avec les ombres sur les murs d’un bunker bitumé.
La route attablée, bordée d’assises entassées, est quant à elle habilement utilisée pour illustrer à double sens l’absence mortifère de mouvement à l’intérieur d’un univers souterrain et barricadé.

Le Souffleur de Verre insuffle à nos petits univers trop connus des espoirs de nouveautés étrangères, du 14 janvier au 1er février à l’Espace Libre.

Distribution : Nico Lagarde, Jean-François Blanchard, Léa-Marie Cantin, Marie-Josée Gauthier, Jasmine Dubé, Vincent Magnat, Bernard Meney, Carmen Ferlan, Claude Lemieux, Jane Pelletier, Henri Chassé, Olivier Courtois, Marcel Pomerlo

Texte : Denis Lavalou
Scénographie : Denis Lavalou, Francis Laporte
Costumes, accessoires, patines : Marianne Thériault
Maquillages, coiffures : Angelo Barsetti
Eclairages : Stéphane Ménigot
Environnement sonore : Eric Forget

Crédits photographiques : Théâtre Complice