Sunderland : Serge Postigo rend hommage au courage humain sur la scène du Théâtre Jean Duceppe

Catherine-Anne Toupin, Marie-Eve Milot, Fédéric Blanchette
Catherine-Anne Toupin, Marie-Eve Milot, Fédéric Blanchette

Bienvenue à Sunderland, petite ville ouvrière du Nord de l’Angleterre délavée par  la grippe aviaire et la pluie.

Bienvenue chez Jill, adolescente autiste supportrice de l’équipe de soccer locale et éleveuse de fourmis.

A sa porte, toujours, se tient Sally, sa sœur, qui joue le rôle de mère depuis le jour où celle qui ne l’aura jamais vraiment été est partie.
Ancienne Miss de beauté dans son trou perdu, Sally survit sans le sou et se bat pour joindre les deux bouts en attendant de retrouver un emploi perdu lorsque l’usine d’abattage de poulets de la ville a mis la clé sous la porte et ses employés sur le parvis.

Derrière une des portes de Sally, occupant une pièce vidée par le départ de Mary mère vit Ruby, son amie, abandonnée par ses parents et par la mère-poule elle aussi, et qui arrondit ses fins de semaine en faisant jouir chronomètre en main les hommes au bout du fil de son coït téléphonique toujours plus raccourci.

Assis sur le pas de la porte d’entrée attend Gavin, le vieux copain toujours volontaire pour raviver le feu dans le foyer lorsque celui-ci dépérit.
Gavin, prétendant maladroit de Sally, laquelle ne l’a jamais vu autrement que comme un membre de la fratrie.
Gavin sans Sally, elle qui n’a jamais su se donner le temps de s’accorder une envie.

Quand le centre de services sociaux soi-disant salvateur mais qui tue à petit feu ses patients enfonce la porte de la maison et menace de retirer la garde de sa petite sœur à Sally, cette dernière ne trouve d’autre moyen de reprendre Jill des mains de ses ravisseurs que de louer son utérus à des couples en mal de fertilité, ouvrant ainsi la porte de sa maison à un couple homosexuel tout droit sorti des beaux quartiers londoniens et qui attend depuis dix ans d’enfanter sa paternité -à tout prix.

Se débattant d’une part avec les apparitions de Mary, laquelle vilipende ses actions en lui avançant sa propre maternité avortée et leur fatale filiation avant de quémander avec des larmes de crocodiles compréhension et pardon, et d’autre part avec les épreuves que lui imposent les coups de la vie, Sally s’efforcera de renvoyer au passé l’enfance orpheline dont elle est partie afin de définir par elle-même ce qu’elle fait aujourd’hui et par là-même ne pas répéter ce que sa mère a détruit.

C’est en se fiant à ce en quoi elle croît, à savoir le don de soi et la solidarité, que Sally puisera en elle la force de faire revenir un rayon de soleil sur Sunderland et transformera un peu son purgatoire en paradis.

Hommage au courage humain, Sunderland est une pièce qui parle de « l’héroïsme d’aimer » et de ses héros de tous les jours qui, le nez en plein dans leur lutte pour la survie, n’en perdent pourtant pas moins de vue l’essence de la vie.

Drame parlant d’amour avec humour, Sunderland suit avec réalisme et âpreté, sans néanmoins sombrer ni dans un pathétisme malvenu ni dans un misérabilisme déplacé, le parcours d’hommes, et de femmes surtout, qui se serrent les coudes afin de montrer, de se montrer que le monde dans lequel elles évoluent peut leur prendre beaucoup, mais pas leur pouvoir de donner.

Créée par Clément Koch au Petit Théâtre de Paris il y a trois ans, c’est auréolée de succès que la seconde pièce du dramaturge français a traversé l’océan pour se retrouver entre les mains de Serge Postigo, lequel a adapté « ce petit bijou » pour la scène québécoise.

Le metteur en scène va jusqu’à comparer les mouvements de la pièce à celui des grands airs d’opéra, soutenant à juste titre que l’on passe harmonieusement « d’une révélation dure à une réplique hilarante » et « d’un état attendri à un grand rire franc. »

Sur scène, c’est par les portes du plateau hyperréaliste reconstituant l’intérieur d’une maison vieillie par le temps et les soucis que les personnages vont et viennent pour se donner la réplique.

Catherine-Anne Toupin revêt le visage malmené mais jamais vaincu d’une « orchidée ayant poussé dans l’asphalte », tandis que Marie-Eve Milot évite avec justesse les pièges de sa partition pour composer une autiste dont l’égocentrisme agité complète la rage toute en retenue de Sally.
Le drame porté par la paire de sœurs est adroitement compensé par la légèreté souriante et les réparties croustillantes du personnage incarné par Karine Belly.
Frédéric Blanchette met à merveille son air rustaud au service de son rôle d’amoureux pataud.
Tirés à quatre épingles, Eloi ArchamBaudoin et Henri Pardo introduisent un courant d’air de haute société en contrepoint avec l’appartenance prolétaire de leur entourage, engendrant par ce décalage une touche d’humour british et de ridicule mondain opportune.
Debbie Lynch-White livre quant à elle une vision presque caricaturale d’une assistance sociale renvoyant à un univers quasiment carcéral en noir et blanc.
Spectrale, Marie-Claude Michaud apparaît et disparaît derrière les portes ouvertes pour s’inviter en aparté dans les recoins cachés de chacun.

Emu.
C’est probablement le mot le plus approprié pour décrire ce qu’on a ressenti en empruntant la porte ouverte sur Sunderland, jusqu’au 29 mars sur la scène du Théâtre Jean Duceppe.

Distribution : Catherine-Anne Toupin, Eloi ArchamBaudoin, Karine Belly, Frédéric Blanchette, Debbie Lynch-White, Marie-Claude Michaud, Marie-Eve Milot, Henri Pardo

Texte : Clément Koch
Adaptation et mise en scène : Serge Postigo
Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort
Décor : Jonas Veroff Bouchard
Costumes : Daniel Fortin
Accessoires : Normand Blais
Eclairages : Matthieu Larivée
Musique : Christian Thomas

Crédits photographiques : François Brunelle