La 15e édition du carrefour international de théâtre tire bientôt à sa fin. Les deux derniers spectacles sont présentés, tous les deux, les 10, 11 et 12 juin prochain. Le ishow est présenté à 21 h au théâtre Périscope et je vous en reparle demain. Acrobates, lui, est présenté à 19h30 à ExpoCité au Pavillon de commerce, où un théâtre a été aménagé pour les besoins du spectacle. Et Acrobates est l’un des spectacles les plus émouvants et impressionnants que j’ai vus de ma vie! Alors, c’est assurément un spectacle à ne pas manquer!!
Ce spectacle d’un peu plus d’une heure est une ode à l’amitié, à la tendresse, à la vie. C’est une célébration de l’acrobatie sur laquelle plane un deuil, celui de l’ami et partenaire des deux artistes, Fabrice Champion, devenu tétraplégique en 2004 après un choc en plein vol, et mort sept ans plus tard au cours d’une cérémonie chamanique au Pérou.
Sans être un hommage, à Fabrice, le spectacle s’appuie sur des séquences du film qu’Olivier Meyrou réalisait sur Fabrice, qu’il suivait depuis dix dans la reconquête de ses jambes, alors qu’il désirait remonter sur scène et préparait un spectacle avec Alexandre et Mathias, intitulé Nos limites, où Fabrice se fait poupée de son aux mains de ses deux partenaires. Malheureusement, Fabrice est décédé quelques mois avant le début de la présentation du spectacle.
Ses amis – les deux jeunes acrobates, ainsi que Stéphane Ricordel, ancien trapéziste et metteur en scène, et Olivier Meyrou, qui a suivi Champion avec sa caméra pendant ses années de réhabilitation – font de cette expérience difficile un spectacle au souffle puissant, empreint de tendresse et d’affection pour l’absent.
Sur des panneaux transformés en écrans mobiles,en arrière et parfois en avant plan, le public a droit à des images du film où l’on voit Fabrice jongler avec son handicap. Avec une trame sonore remplie des paroles de Fabrice, parfois répétées en boucle, telle une incantation, parfois juste des sons qui augmentent l’intensité du moment pour en devenir quelquefois complètement agressant, pour démontrer toute la douleur, la colère peut-être, jumelé à cela des mouvements acrobatiques hallucinants de la part d’Alexandre et Mathias, qui maitrisent leur art à merveille. Le spectateur est ébloui, ému, et transporté dans la douleur, la frustration d’impuissance, puis vers l’acceptation, le lâcher-prise et la célébration de l’amitié, de la vie. Tout cela, à travers la grâce des acrobaties telle une danse, mais aussi, l’expression corporelle et faciale et même le regard des acrobates qui témoignent de toutes cette gamme d’émotions qu’ils nous font vivre. Ouf! Quelle belle démonstration de confiance, de tendresse, d’acceptation de son partenaire, ce lien intense qui se crée entre ces deux acrobates, une superbe complicité dont le public est un témoin privilégié. Un bel amalgame de cirque, danse et théâtre.
Au niveau de la mise en scène, Stéphane Ricordel a voulu lancer un défi supplémentaire à ses deux acrobates, en leur mettant une plateforme inclinée à 43 % sur laquelle travailler pour une bonne partie du spectacle. Un défi de taille, quand on pense qu’un acrobate aime bien avoir une surface plane et bien égale pour travailler. Mais Alexandre et Mathias ont relevé avec brio ce défi, puisque tout au long du spectacle, on les voit se servir de cette plateforme avec une aisance sans borne qui nous fait oublier combien cela doit être difficile. Et les acrobaties réalisées sont extrêmement originales, puisqu’aidées par l’inclinaison de la pente.
Les deux moments les plus forts du spectacle à mon avis, sont les 20 dernières minutes, alors que tout d’abord Mathias se met dans la peau de Fabrice (alors qu’on entend Fabrice répéter en boucle, tout ce qu’il ne peut plus faire, vu son handicap). On le voit tenter de se lever, tomber par terre, se lancer contre un mur, bref se faire violence pendant de longues minutes, jusqu’à épuisement total. WOW! Quelle performance magistrale.
Ensuite, l’autre moment de grâce, est celui, juste après, alors qu’Alexandre vient récupérer son ami et le transporter partout, telle une poupée de chiffon. Les acrobaties réalisées sont immensément empreintes de tendresse et de fragilité. Puis, le clou de la soirée, alors que les deux acrobates y vont d’une démonstration de leur force, leur sens de l’équilibre, leur belle complicité, dans des acrobaties à deux, qui nous laisse tous ébahis.
Après le spectacle, ceux qui veulent rester, peuvent rencontrer l’équipe de Acrobates, soit le metteur en scène Stéphane Ricordel et les deux acrobates Alexandre Fournier, Matias Pilet. AInsi le public peut leur poser quelques questions, par exemple est-ce que ce spectacle est une façon pour eux de faire le deuil de leur ami Fabrice, voilà ce qu’ils ont répondu :
Stéphane Ricordel : «Le deuil de Fabrice, on l’a fait les jours qui ont suivi son décès. On est passé par des phases qui sont compliquées et douloureuses. Mais nous n’avons pas utilisé ce spectacle pour en faire une thérapie sur le plateau. »
Mathias «Le spectacle, on l’a débuté quand même assez vite, soit environ 6 mois après son décès. Et c’est sûr que pendant la création c’était quand même assez dur, vu qu’on a travaillé avec ces images de lui, et toutes ses paroles. Mais, le deuil s’est fait assez naturellement au bout d’un an. Mais moi, j’avais l’impression que ça faisait 3 ou 4 ans qu’il était décédé, parce qu’il était présent tellement là dans le spectacle que l’on créait. On l’entendait tellement souvent, qu’au final, il est devenu un peu comme quelqu’un d’irréel. Il est toujours là, mais il n’est plus là. On se demande s’il a vraiment existé, ou s’il est juste une voix, et une image. »
Crédits
Mise en scène Stéphane Ricordel
Dramaturgie et images Olivier Meyrou
Avec Alexandre Fournier, Matias Pilet
Musique François-Eudes Chanfrault
Création sonore Sébastien Savine
Scénographie & construction Arteoh, Side-up concept, Stéphane Ricordel
Création éclairage et vidéo Joris Mathieu, Loïc Bontems, Nicolas Boudier
Monteuse Amrita David
Régie générale Simon André
Régie lumière Amandine Galodé
Régie son et vidéo Tom Menigault
Production Théâtre le Monfort Paris
Coproduction Théâtre de la Ville, Théâtre Vidy, L’Agora/ PN AC de Boulazac, Cirque-Théâtre d’Elbeuf/centre des arts du cirque de Haute-Normandie, L’Hippodrome/Scène Nationale de Douai, Le Nouveau Relax/Chaumont
Avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication, de la DRAC Ile de France (aide à la production dramatique), de l’Académie Fratellini et de la Fondation BNP Paribas
Projet soutenu dans le cadre de l’opération FRIMAS lancée par l’Institut français et le Consulat Général de France à Québec en 2014.
Alexandre Fournier et Matias Pilet, sont diplomés de l’Ecole Nationale des Arts du Cirque de Rosny et de l’Académie Fratellini.
http://www.carrefourtheatre.qc.ca/
Crédit photos : Olivier Meyrou
