«Mary Poppins» présentée par le Festival Juste Pour Rire est la plus grande production francophone d’une comédie musicale au Québec depuis longtemps. Avec ses 31 interprètes (sélectionnés parmi plus de 1000 postulants), appuyés par 80 techniciens et artisans en coulisses, un orchestre de 8 musiciens et de multiples décors et costumes, ce spectacle grandiose est un événement en soi dans l’histoire de la comédie musicale. À la première médiatique d’hier soir, le public a été jeté par terre devant autant de talents combiné aux moyens techniques sur une même scène. C’est d’ailleurs ce qui fait la renommée des meilleures comédies musicales de Broadway, avoir des artistes qui sont experts en chant, en danse et en jeu dramatique. Le metteur en scène et grand manitou Serge Postigo l’avait bien compris l’an dernier quand il a lancé son appel à tous. Il a mis sa tête sur le billot et a remporté haut la main sa mise. Bravo Monsieur Postigo pour avoir osé, le monde de la comédie musicale au Québec est désormais changé. On peut résumer le spectacle par une suite de tableaux avec des artistes qui nous en ont mis plein la vue et les oreilles, où même les personnages secondaires et les figurants auraient pu tenir un premier rôle tellement ils étaient bons.
D’abord une série de livres de Pamela Travers débutant en 1934, Walt Disney achète les droits et réalise le film bien connu gagnant de 5 Oscars en 1965. Inconnue à l’époque, Julie Andrews incarne une Mary Poppins qui donnera le ton à toutes celles qui suivront. Puis en 2004, la comédie musicale tirée du film est jouée au West End de Londres puis à Broadway. Reprenant les excellentes chansons du film écrites par les frères Sherman, la comédie musicale en ajoute quelques unes écrites par George Stiles et Anthony Drewe. Le livret de Julian Fellowes réussit à créer une histoire un peu différente du film tout en ajoutant un côté plus adulte au récit.
L’histoire se déroule à Londres en 1910. Racontée par l’homme à tout faire du quartier (Bert), l’intrigue débute sur le départ précipité de la nounou (Katie Nanna) des deux enfants (Jane/Michael) d’un austère banquier de Londres (George Banks) et de sa femme (Winifred). L’arrivée mystérieuse d’une jeune nounou du nom de Mary Poppins charme la petite famille. Elle réussit auprès des enfants grâce à ses talents surnaturels, sa discipline bien marquée et ses leçons de vie. S’ensuivent une série de tableaux comme une escapade magique au parc, la visite à la banque, la rencontre de la Dame aux oiseaux et la boutique de bonbons de Mrs. Corry. Pendant ce temps, George Banks est suspendu de la banque suite à une décision d’affaire qui fut trop « humaine » pour la direction. L’arrivée d’une nounou cruelle et bourrue (Miss Andrew) provoque un revirement de situation et un duel entre elle et Mary Poppins. Pour terminer, M. Banks retrouve son emploi et la petite famille comprend le bonheur d’une famille unie. Mary termine donc son aventure avec eux et quitte pour une autre famille qui a besoin d’elle.
Pour commencer, Serge Postigo a trouvé la perle rare avec Joëlle Lanctôt dans le rôle de Mary Poppins. L’image qu’elle projette est comme on se l’imagine, «pratiquement parfaite», comme dans la chanson. Sa voix chantée est pure et agréable avec un beau vibrato naturel caractéristique à son personnage. Son jeu est aussi juste et crédible, on aimerait tous la ramener à la maison pour nos enfants. La découverte du spectacle est sans contredit Jean-François Poulin dans le rôle de Bert. D’un naturel époustouflant, on s’attache à son personnage tout au long du spectacle. Il nous charme en chantant d’une voix solide et séduit la salle à chaque apparition. Sympathique et très communicateur, il est aussi un excellent danseur. Rappelez-vous de son nom, car avec son talent vous le reverrez sûrement dans une autre comédie musicale. Les autres interprètes ne sont pas en reste, ils sont tous aussi talentueux les uns que les autres. Avec une distribution aussi nombreuse, il arrive qu’on ait quelques points faibles. Mais ce n’est pas le cas ici, on a l’impression vraiment d’avoir la crème de la crème pour tous les personnages.
René Simard est le seul nom bien connu de cette distribution. Dans le rôle de George Banks, on le sent jongler avec la complexité et les différentes couches de son personnage qui doit évoluer grandement entre le début et la fin. Il a de bons moments attendrissants grâce à ses chansons avec sa voix puissante tout en nuances. Élysabeth Rivest (Winifred) joue une mère aimante mais dépassée par les événements. Son jeu sensible et une belle voix de poitrine et mixte tout en puissance sont sa force. Les deux enfants Jane et Michael joués en alternance par Alice Déry/Alexandra Sicard (Jane) et William Coallier/Alessandro Gabrielli sont adorables, on les aime dès les premiers instants. Ils chantent d’une belle petite voix charmante d’enfant, toujours juste.
Les domestiques de la maison Banks sont joués à merveille par Claire Jacques (Mrs. Brill) et Isabeau Proulx-Lemire (Robertson). Ils apportent plusieurs bons moments drôles à souhait grâce à leur merveilleux talent d’acteur et un timing inné pour le comique. Claire Jacques est très expressive en plus d’avoir une belle voix pour chanter. La scène à la cuisine est mémorable. Frédérike Bédard est méconnaissable dans ses deux rôles secondaires, la Dame aux oiseaux et la méchante nounou Miss Andrew. Elle joue avec les différents timbres de sa voix, du rauque à la belle voix de tête aigue, du doux charmeur à la puissance avec du caractère. Son duel vocal contre Mary Poppins à la fin est sublime. Katee Julien joue une extravagante Mrs. Corry avec sa voix solide et puissante. Son «Supercalifragilisticexpidélicieux» avec Mary Poppins et tout son choeur est le premier showstopper du spectacle.
La mise en scène comporte plusieurs belles trouvailles, dont des illusions fort réussies comme lorsque Mary Poppins sort les objets de son sac à voyage vide, ou l’utilisation de vrais pigeons pour la Dame aux oiseaux. Ce n’est pas un secret que Mary Poppins vole, mais pas seulement une fois et pas toujours au même endroit ce qui provoque l’émerveillement des petits et grands. Il y a beaucoup de changements de décors, ce qui peut donner quelques longueurs à l’occasion. C’était inévitable, mais on apprécie les efforts faits par la mise en scène pour mieux faire passer ces moments. Ces décors et la multitude de costumes (plus d’une centaine) sont des éléments qui rendent cette comédie musicale encore plus merveilleuse.
Les chorégraphies sont aussi une autre force du spectacle. Autant la conception de Steve Bolton que l’exécution par les artistes. «Juste à temps» sur le toit de la maison est probablement le plus beau numéro de danse monté par des Québécois. L’idée de le transformer en style gumboot est génial et impressionne le public qui en fera son deuxième showstopper du spectacle avec une ovation debout. La participation des spectateurs est même encouragée à la fin du numéro (ce qui permet de faire un changement de décor pendant ce temps). «Jouez le jeu» avec les poupées grandeur nature est un délice, surtout grâce aux éclairages léchés et à la bonne voix puissante de celui qui joue la poupée Valentin.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner les 8 musiciens cachés en coulisse qui donne l’impression d’être un grand orchestre de Broadway. La sonorisation soignée y est pour quelque chose, on entend bien chaque instrument. Il est arrivé quelques fois que la musique soit trop forte pour un chanteur, mais on perd au plus quelques mots. Et quelle bonne idée d’avoir les musiciens qui viennent saluer à la fin, ils l’ont autant mérité que les autres.
D’une durée de 2h55 (avec entracte de 25 minutes), c’est une comédie musicale qui n’a rien à envier de Broadway. Des interprètes de talent dans tous les rôles, du plus petit au plus grand, avec une traduction francophone qui se comprend bien et coule à l’oreille, des décors et costumes à la tonne, des chansons qui restent en tête, le tout accompagné de moyens techniques et un orchestre du tonnerre. «Mary Poppins» est non seulement le succès de l’été mais probablement de l’année. C’est de la haute voltige dans tous les sens. Même si l’histoire de la comédie musicale est orientée un peu plus pour les adultes, elle émerveille autant les jeunes que les moins jeunes. Achetez rapidement vos billets pour voir ce qu’est une vraie comédie musicale, car ils s’envoleront rapidement. Je recommande fortement d’aller voir ce spectacle.
Les bons coups: interprètes de haut niveau, choeurs, mise en scène, chorégraphie, décors, orchestre, numéros à grand déploiement
Les moins bons coups: quelques longueurs surtout pour certains changements de décors
Équipe de création
Mise en scène, traduction et adaptation: Serge Postigo
Paroles et musique originales: Richard M. Sherman et Robert B. Sherman
Livret: Julian Fellowes
Autres chansons additionnelles: George Stiles et Anthony Drewe
Directeur musical: Guillaume St-Laurent
Chorégraphe: Steve Bolton
Éclairages: David Lavallée-Gagné
Sonorisation: Frédéric Auger et Serge Rodrigue
Distribution
Joëlle Lanctôt (Mary Poppins), Jean-François Poulin (Bert), René Simard (M. Banks), Élysabeth Rivest (Winifred), Alice Déry (Jane), Alexandra Sicard (Jane), William Coallier (Michael), Alessandro Gabrielli (Michael), Claire Jacques (Mrs. Brill), Frédérike Bédard (Dame aux oiseaux/Miss Andrew), Katee Julien (Mrs. Corry/Miss Lark), Isabeau Proulx-Lemire (Robertson Ay/Président de la banque), Normand Carrière (Gardien du parc), Pierre Lenoir (Amiral Boom), Serge Turcotte (Policier), Jean-François Blanchard (von Hussler), Marie-Pier Jean (Miss Smythe), Marie-Pierre De Brienne (Katie Nanna), Ian Arcudi, Sunny Boisvert, Guillaume Borys, Frédérique Brunet, Jean-Luke Côté (Valentin), Catherine Dagenais-Savard, Daniel Delisle, Marie Deslongchamps, Alexia Gourd, Kathline Gréco, Matthieu Handfield, Lisa Palmieri, Matt Tremblay.
Orchestre
Guillaume St-Laurent, Lucie Cauchon, Marie-Hélène Breault, Mélanie Bourassa, Christian Morissette, Renaud Gratton, Ian Simpson, Philippe Beaudin.
Présenté en français du 15 juin au 13 août 2016 au Théâtre St-Denis (1594 rue St-Denis) à Montréal.
Billets (29$-166$) disponibles au http://www.hahaha.com/fr/show/mary-poppins-la-comedie-musicale-2016
Photos: Marc Young (Info-Culture)
Galerie photos de notre photographe Marc Young: https://www.flickr.com/photos/infoculturephotos/sets/72157667093226844/with/27066127873/
