« Le Cid » au théâtre La Chapelle à Montréal

Le Cid © Hugo B. Lefort
Le Cid © Hugo B. Lefort

Corneille revisité et transformé en des chants composés de cris de corneilles? C’est ce qu’au premier abord on est tenté de penser en assistant au célèbre Cid résumé et mis en scène par Gabriel Plante. Mais à bien y réfléchir, à côté de l’intéressante performance sonore que cette adaptation propose, il y a je trouve quelque chose à comprendre des tourments que la vie bien souvent nous réserve et de la manière dont nous les exprimons.

Dans Le Cid de Gabriel Plante, seulement quatre acteurs (excellents) couvrent cinq rôles de la pièce originale : Élisabeth Smith incarne celle qu’on nomme l’infante à savoir la fille du souverain, Amélie Dallaire est Chimène, Jocelyn Pelletier est Rodrigue, et Gaétan Nadeau tient alternativement le rôle du père de Chimène et du père de Rodrigue. L’histoire peut se résumer ainsi : Rodrigue (Le Cid) et Chimène sont amoureux l’un de l’autre et doivent se marier. L’infante aime aussi Rodrigue mais n’a aucune chance de l’attirer vers elle. Quant aux pères de Chimène et de Rodrigue, ils sont en conflit pour un poste de gouverneur que le roi a confié au père de Rodrigue et pas à celui de Chimène. Le père de Chimène mécontent gifle le père de Rodrigue (le fameux soufflet), ce qui humilie le père de Rodrigue qui exige de son fils qu’il le venge et qu’il tue le père de sa bien-aimée. Dans la pièce il se passe encore d’autres événements qui se situent dans l’Espagne du XIe siècle, comme l’invasion des Maures dont Rodrigue sort victorieux.

Le Cid © Hugo B. Lefort
Le Cid © Hugo B. Lefort

On sait que ce sont non seulement l’intrigue qui propose une multitude de dilemmes pour les différents protagonistes, mais aussi les fameux vers du poète du XVIIe siècle français qui font de cette œuvre un monument du théâtre mondial. Dans la pièce revisitée ici, l’intrigue est extrêmement résumée (la comprend-on suffisamment quand on n’a pas la pièce en tête?), quelques alexandrins parmi les plus célèbres demeurent mais dits dans une composition sonore qui donne la plus grande place aux bruitages, aux canons chantés, à tout un environnement phonique difficile à décrire mais extrêmement original. Le tout s’accompagne d’une scénographie soignée, avec de beaux costumes et tout un jeu d’éclairage intéressant. Mais c’est le côté sonore qui domine et qui déforme pour le moins les alexandrins du poète.

Sans doute les amateurs de la langue de Corneille seront-ils déçus. Elle n’est là que comme un reste, un prétexte à s’adonner à des bruits, à des cris, à des gémissements, à tout un ensemble d’expressions le plus souvent sonores mais aussi corporelles qui ne peuvent que dérouter le spectateur. Pour ce qui me concerne, j’ai trouvé qu’une fois le principe de la proposition accepté, elle pouvait être lue comme une extériorisation visuelle et sonore des tourments que les personnages ressentent intérieurement et qui ne sont jamais visibles dans la vie ordinaire. Les deux principaux personnages, à savoir Rodrigue et Chimène, mais aussi l’infante, sont chacun mis face à des dilemmes, des choix impossibles, des situations qui rendent fous puisqu’aucune des options n’est pour le moins acceptable. Comment Rodrigue peut-il après avoir tué le père de Chimène pour répondre aux lois de l’honneur de l’époque, espérer conserver encore l’amour de sa bien-aimée? Comment celle-ci peut-elle encore accorder son amour à l’homme qui l’a rendue orpheline? Etc.

La tempête psychique que ce genre de situations produit demeure généralement invisible et inaudible, ou presque, bien cachée à l’intérieur de la personne. Là, dans cette adaptation du Cid, il m’a semblé que son créateur avait pris le parti d’extérioriser entièrement ce genre de tempête émotionnelle et de faire voir et entendre la somatisation qu’elle entraine, une somatisation qui se manifeste par des pulsions érotiques bien visibles et aussi particulièrement audibles. Il n’y a qu’au théâtre que l’on peut voir et entendre ce genre de choses, qui déroge au fonctionnement de l’humain dit normal, qui doit se tenir auprès des autres et qui n’a pas coutume d’extérioriser à ce point ses émotions, sauf à paraître voire â être totalement fou.

 

 

Le Cid du 10 au 19 octobre au théâtre La Chapelle à Montréal

Auteur Pierre Corneille

Mise en scène Gabriel Plante

Éclairages Julie Basse

Scénographie Odile Gamache

Son Jacques Poulin Denis

Directeur technique Gabriel Duquette

Directrice de production Émilie Martel

Dramaturge Félix-Antoine Boutin

Assistance à la mise en scène Vanessa Beaupré

Plutôt Chimène Amélie Dallaire

Plutôt l’Infante Élisabeth Smith

Les vieux hommes Gaétan Nadeau

Plutôt Rodrigue Jocelyn Pelletier

Production Création dans la chambre

Co-production Théâtre Trillium

 

Informations http://lachapelle.org/fr/programmation/le-cid