Enquête dans la réserve de David Adams Richards, un drame à l’image de la société canadienne

David Adams Richards Enquête dans la réserve  © photo : courtoisie
David Adams Richards Enquête dans la réserve
© photo : courtoisie

Été 1985, Hector est un jeune Micmac, qui veut devenir médecin. Le premier de sa réserve. Pour payer ses études, il réussit à obtenir une carte syndicale grâce à l’aide du chef du Conseil de bande, Amos, pour travailler au chargement du bois dans les cales des navires. Son premier jour de travail, il l’obtient parce qu’un Blanc, Roger, est en retard pour embaucher. Roger qui décide alors de rester sur le terrain de la cale à bois pour attendre de voir si une opportunité de travail ne se présentera pas finalement à lui dans la journée. Quelques heures plus tard, Hector est retrouvé mort, dans l’une des  cales du navire sous des billes de bois qui ont échappé à l’élingue. Un chargement, que Roger a lui-même placé dans l’élingue alors que son copain le grutier était parti prendre une pause. Accident, meurtre?

L’enquête est ouverte. Une enquête qui accuse Roger le coupable idéal. Un homme solitaire parmi les Blancs, rejeté par eux car hors norme, proche mais jamais totalement ami des Autochtones qu’il côtoie depuis toujours tout en étant en rivalité avec eux pour des terres et des droits de pêche. « C’est à dire que désormais on allait tenir compte de ce qu’il était et de ce qu’il représentait dans la conscience canadienne, on allait s’en servir contre lui pour le réprimander. …Cependant, comme personne ne le défendait il devenait subitement non pas un simple individu qui aurait pu agir ainsi mais ‘ce genre d’homme’… »

Une enquête à travers laquelle toutes les logiques implacables de la société canadienne (d’alors ou de toujours?) vont se mettre en mouvement pour que de ce premier drame, en naisse un plus vaste encore aboutissant à encore d’autres morts, et à des hommes et des communautés aux destins brisés. Et chacun des protagonistes de devenir l’instrument d’une logique, d’un enjeu qui le dépassent qu’il en ait conscience ou non, qu’il veuille ou non tenter d’inverser le cours du destin : Roger; Amos le vieux sage, chef du Conseil de bande; Max, le journaliste en quête de carrière; Isaac, politicien, stratège, bien décidé à faire avancer les droits des Autochtones comme autant de vengeances personnelles et collectives pour trois cents ans d’humiliation et un père condamné à mort injustement; et Joël, peut-être lui aussi décidé à obtenir vengeance mais par l’affrontement physique et s’en oublier de faire prospérer ses petits trafics au passage, tous deux en rivalité pour prendre le pouvoir au sein de la réserve et pour la place que le vieil Amos n’est plus en mesure de maintenir; tous les jeunes en quête d’avenir, ces jeunes guerriers de la réserve; Markus le petit fils de Amos; Petit Jo le bambin ami de Markus….Un engrenage devenu incontrôlable que l’auteur, David Adams Richard, va démonter magistralement pour nous. Il fait ainsi, notamment dans toute la partie centrale du roman, avancer inexorablement l’intrigue vers sa fin tragique en centrant l’action sur, tour à tour, chacun de ses acteurs et les forces qui s’exercent par et contre lui. «…Le vieil homme savait que bien des gens, toutes sortes de gens, disaient qu’ils cherchaient la vérité, mais voulaient plutôt obtenir des réponses qui correspondent à leur idée de la vérité… ».  «… Ceci ne signifiait pas qu’une erreur judiciaire n’avait pas été commise pour autant. Et pas non plus qu’un crime n’avait pas été commis. Mais cela signifiait que ce crime était devenu maintenant une source d’occasions que ne pouvaient plus ignorer ceux qui cherchaient des occasions… »…..

Ainsi, chacun, fait d’ombre et de lumière, de vérités et de mensonges à demi avoués ou connus, de manipulations qu’il croit maitriser mais dont il est lui–même le jouet et qui le dépassent , remplit le rôle qui lui est assigné. Et les liens d’avant, ceux que l’on s’était choisis dans sa liberté d’homme du temps d’avant, n’ont plus cours au profit de ceux que la partition qui se joue vous impose.

Dès lors, la résolution de l’intrigue ou plutôt sa non-résolution durant presque 20 ans font partie intégrante de l’histoire. Car pendant toutes ces années, personne n’a véritablement eu intérêt ou n’a eu la force nécessaire pour que la vérité intrinsèque soit connue même si le prix à payer était que ce drame continue, lentement mais surement, son œuvre destructrice. Une vérité aussi peu à l’honneur dans sa réalité mais tout aussi révélatrice des rapports sociaux et humains mis en œuvre que le mensonge qui lui a été substitué. Pourtant, lueur d’espoir, un homme, sous l’influence de la force morale et de la sagesse laissées en héritage par son grand-père le vieil Amos, le seul aussi qui, a tenté de jeter un pont entre le monde des Blancs et celui des Autochtones, va, en 2006, découvrir la vérité et être le passeur. Il devient ainsi celui qui permettra peut-être à certains de ceux qui furent broyés et à travers eux à cette société qui s’est jouée d’eux, de retrouver leur humanité, leur courage et leur dignité.

Le lecteur ne sort pas indemne de Enquête dans la réserve, une œuvre magistrale dans la filiation revendiquée par David Adams Richards lui-même de Steinbeck, Faulkner ou encore Dostoïevski. Un roman à lire absolument. Un roman qui se découvre comme une formidable histoire mais aussi comme une véritable étude sociologique dans lesquelles l’intrigue en cours n’est que le miroir de la grande Histoire, celle de la société Canadienne, notre société… une société colonialiste.

David Adams Richards a écrit plus d’une vingtaine d’œuvres dont plusieurs, notamment Mercy among the children, (la malédiction Henderson) furent finalistes et mêmes lauréates de prix littéraires parmi les plus importants : Giller Prize; Commonwealth Writter’s Prize; CBA Libris; Prix du Gouverneur général; Dublin Impac Award; Paerson Canada Readers, Trillium; Prix des Libraires du Québec.

Il est véritablement regrettable que seulement deux des œuvres (dont celle-ci) de cet écrivain, un des grands auteurs contemporains canadiens de langue anglaise, aient été traduites en français

 

Enquête dans la réserve
Auteur : David Adams Richards
Roman
Collection « Miroirs »
Éditions de la Peine Lune : www.pleinelune.qc.ca
Titre en anglais : Incidents in the life of Markus Paul
Traduit de l’anglais par Ivan Steenhout et Robert Paquin
Couverture :
Julie Larocque
368 pages, brochées
29,95 $

ISBN papier : 978-2-89024-222-7
ISBN PDF : 978-2-89024-408-5
ISBN ePub : 978-2-89024-407-8

 Avec le Soutien de la Sodec , du Conseil des Arts du Canada et du Programme national de traduction pour l’édition du livre du Gouvernement du Canada.

 En librairie dès le 16 octobre

Rue des Libraires : http://www.ruedeslibraires.com/livres/enquete-dans-reserve-david-adams-richards-9782890242227.html/2744430b6035427a6c0e13da8838f2dca9294207a79fc2c6a6d4c2a6936fe2e10c31489ea75852282f26606ff2ae667434d21ab0c5f1b1eabb099aba2b479aaf/?u=4850

© photo : courtoisie