Cosima, femme électrique de Christophe Fiat, la vie d’une femme de tête

Cosima, femme électrique de Christophe Fiat © photo: courtoisie
Cosima, femme électrique de Christophe Fiat © photo: courtoisie 

Le texte Christophe Fiat Cosima, femme électrique paru cette année est l’édition à partir de la performance que l’auteur a livrée au festival  d’Avignon en 2011. Le roman écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture, raconte à la première personne du singulier, une partie de la vie de Cosima Wagner, fille du musicien Franz Liszt et de l’écrivaine Marie d’Agoult, mariée, mal mariée à Hans Guido von Bülow, chef d’orchestre mais surtout amoureuse puis maîtresse et enfin femme de Richard Wagner.

En parallèle de la vie de Cosima celle, bien sûr de Richard Wagner, son œuvre musicale incontestée mais aussi son engagement politique au service d’une grande Allemagne unifiée et aussi la récupération qu’en firent les nazi, Hitler en tête avec le soutien voire même la bénédiction de Cosima et surtout de sa belle fille. Nous sommes au début du livre dans les années 1870-1880.  L’Allemagne vit à l’heure de l’Empire façonné par l’empereur prussien Guillaume 1èr et son ministre Bismark. Au sein de cet empire, la Bavière, jouissant d’une relative autonomie, est dirigée par le roi Louis II, protecteur de Wagner même si leurs relations ne furent pas toujours loin de là sans nuages, plus connu pour sa passion pour l’art et l’architecture qu’il vit au rythme de la folie des grandeurs, et de sa folie tout court, que pour sa gouvernance. En trame de fond de ces engagements, le rêve d’une grande Allemagne nourri à la fois du romantisme allemand et de l’impérialisme prussien. Dans ce monde idéalisé plane l’ombre de l’antisémitisme vis-à-vis de juifs perçus comme « non assimilables »  et donc comme ennemis.

 

 
Mais au delà de l’histoire politique que traverse Cosima, Cosima, femme électrique retrace aussi toute l’histoire socio-cultuelle qui façonne cette femme mais que surtout par son caractère comme par sa situation matrimoniale elle va façonner. Force de caractère d’une femme qui va s’imposer à une époque où la femme qui s’efface est plutôt perçue comme un idéal. Femme de tête qui ose afficher sa relation extraconjugale, (dont naîtront deux des trois enfants du couple) puis son divorce et enfin son remariage avec l’homme de sa vie. Femme de culture qui luttera à côté de Richard Wagner pour défendre son œuvre, et lui permettre d’en vivre et pour la naissance puis la survie après la mort du compositeur du festival de Bayreuth, précurseur des festivals qui aujourd’hui encore rythment notre vie culturelle. Mais aussi femme que le doute et la peur de la vie peuvent conduire jusqu’au bord du suicide. Mais aussi femme qui se laisse emporter par sa passion pour l’œuvre de son mari et sa soif de reconnaissance au point de la laisser être appropriée par les nazis. Femme assurément  qui n’a vécu qu’à travers son grand homme, devenant après la mort de celui-ci l’archétype de la veuve d’artiste,  mettant toute cette énergie qui l’électrise au service de l’homme et de son œuvre mais aussi souvent de son auto-proclamation comme gardienne du temple qui lui permet encore d’exister. Femme émancipée? Pas si sûr. On pencherait plutôt vers la catégorie de la « femme de ».
L’auteur nous guide dans le destin de cette femme à travers la forme d’un récit de vie en écho au véritable journal intime de Cosina Wagner. Il s’inscrit dans une démarche créatrice à travers laquelle il dit lui même vouloir, à travers ses livres qui tous deviennent des performances des Arts de la scène, explorer nos angoisses et notre admiration aveugle face aux icônes médiatiques et aux phénomènes culturels (Batman, King Kong, Godzilla, Stephen King, Richard Wagner…).
Il affirme résolument ne vouloir faire ni un roman historique ni une autofiction, ni un essai.
Ce faisant sous cette forme livresque on reste un peu sur sa fin. Le style privé des effets de mise en scène de la performance reste plat, très narratif à la limite du descriptif. On nous conte une passion, on peine à la voire vivre entre les lignes. Mais surtout, on reste mal à l’aise devant ce récit qui veut faire revivre une femme dont l’action fut, le moins que l’on puisse dire, au cœur, tout à la fois, des forces créatrices de ces deux derniers siècles mais aussi des tourmentes politiques y compris la plus funeste et la plus terrifiante et en fut l’une des supports sinon l’un des suppôts. Où est la limite entre la fiction romanesque et la vérité historique? Comment l’auteur nous permet-il de la tracer. Il évoque un journal intime de Cosina, (qui existe bel et bien comme on l’apprend par d’autres que l’auteur qui ne livre même pas une page de notes). Mais alors ce récit qui prend lui-même la forme d’un journal intime est-il une paraphrase, une mise en abime? Ce livre par son sujet même nous raconte une vie cruciale, celle de Cosima, dans le déroulement des enchainements qui vont associer un musicien de génie à un combat pour la nation allemande devenue après sa mort une idéologie de la haine et de la destruction. Or, trop souvent, on a l’impression en lisant ce livre d’apprendre des faits mais pas de les vivre ni de les comprendre, ni même surtout d’être en mesure de porter un jugement éclairé. Pourtant devant un sujet aussi grave sur lequel on ne peut évidement pas parler à la légère, s’en tenir au narratif descriptif surtout dédié et mettant en scène et donc en cause un individu. Aucune référence aux sources n’est identifiable sauf à la toute fin sur des écrits antisémites de Wagner et Cosima encore ceux-ci ne sont-ils pas rattachés à la lecture historique que d’autres auteurs en firent.
Cosima, femme électrique est cependant un livre que l’on lit d’un trait attirés que nous sommes par la force de ce destin hors du commun, mais compte tenu de l’action véritable de son héroïne dans la grande Histoire il aurait peut-être fallu plus de recul. Nous ne pouvons qu’espérer que d’autres « héroïnes modernes » comme qualifie la quatrième de couverture du livre, Cosima Wagner, se sont distinguées par plus de jugement face aux enjeux de notre temps pour que nous puissions pleinement nous reconnaître en elle ce qui est la fonction même d’une héroïne.

Cosima, femme électrique
Auteur : Christophe Fiat  http://www.christophefiat.com
Collection : « À tombeau ouvert» dirigée par Jean-Michel Espitallier
Éditions : Philippe Rey  www.philippe-rey.fr
Couverture; Louise Bordy
176 pages ; Format broché
ISBN : 978-2-84876-294-4 mars 2013
Prix suggéré : 27,95 $ avant taxes. Offert dans toutes les librairies dès le 6 mai 2013; existe aussi en version numérique

Rue des libraires : http://www.ruedeslibraires.com/livres/cosima-femme-electrique-320569.html/3935cca73b97ef0bc4775a3e9a4ab973d47608bf0ddd1825917d2c0f31654462a0085421fc278e9e883b800d0cec29484e17dd3a358197aaa24d849ef6c23cfe/?u=4850

 © photo: courtoisie