Après avoir présenté la pièce Cinq visages pour Camille Brunelle, qui parle de notre relation avec les réseaux sociaux, tels Facebook, Twitter, et notre besoin de briser la solitude, d’être vu et reconnu par le plus de gens possible, voici la dernière pièce présentée au Carrefour International de théâtre de Québec, intitulée Ishow qui jette un regard, un coup d’œil sur le monde qui est à la portée de clic, dans l’univers virtuel de la navigation sur internet.
Dès l’entrée dans la salle, le public se retrouve devant quatorze comédiens assis avec leurs ordinateurs, qui « chattent » sur internet, et grâce à trois écrans géants, les spectateurs suivent en direct les conversations de trois d’entre eux avec des internautes anonymes, devant leurs webcams, qui se rendent compte éventuellement qu’ils sont intégrés à une pièce de théâtre. Théâtre improvisé, où tout peut arriver, de par le caractère aléatoire des rencontres virtuelles. Dès les premiers instants, le public est captivé par ces conversations en ayant tout de même l’impression d’être un intrus dans une conversation à deux. À un certain moment donné, une des comédiennes se lève et délaisse son ordinateur, pour venir parler en direct au public. Les spectateurs écoutent distraitement cette jeune femme et peu à peu, délaissent son charabia et se concentrent plutôt sur les conversations virtuelles, au point de répondre oui à cette comédienne, lorsqu’elle demande au public si elle devrait se taire. Wow, quelle belle leçon pour nous, de voir que le virtuel nous intéressait plus que ce que cette jeune femme en personne, devant nous, avait à dire.
Et voilà ce qu’est le Ishow! Explorer en direct les façons, les outils mis à notre disposition pour interagir avec les gens sur les médias sociaux. Mais aussi, se questionner sur notre degré de voyeurisme, notre fascination collective à visionner des images troublantes, voire même immorales. Nous sommes mis face à nos propres solitudes, nos propres désirs, nos propres perversions.
En plus de ces rencontres aléatoires en direct, le Ishow présente divers tableaux, où sont recrées parfois en direct par les comédiens sur scène (comme une chanson guitare à la main), parfois présentés sur écran géant, par un mix de vidéo Youtube (par exemple, le premier ministre Stephen Harper chantant Imagine, de John Lennon), pour nous montrer les vidéos qui ont été les plus vus sur le net. La plupart de ces vidéos sont cocasses comme les chats et les chiens à qui on fait faire toutes sortes de trucs. On a même droit à la célèbre vidéo de Céline Dion (Take a Kayak) qui fait à nouveau rigoler.
Mais on a aussi des moments forts émouvants, comme la série de textos que se sont envoyés une mère et sa fille, qui était coincée en 2011, sur l’île d’Utoya en Norvège, alors qu’un tueur fou tirait partout, faisant près de 70 victimes. Ou encore, des moments de réflexion, alors que le public s’est vu offrir la possibilité de regarder la vidéo d’horreur-réalité de Magnotta qui découpe sa victime en morceau. Finalement, un sujet qu’il est impossible de ne pas amener lorsqu’on parle d’internet… la pornographie, avec des sites comme chatrandom.com (site pour les 18 ans et +) où les gens peuvent entrer en contact virtuel avec n’importe qui, mais attention, ces personnes peuvent être en train de faire n’importe quoi. La cyber sexualité dans son plein potentiel!
Cependant, il y a d’autres moments plutôt amusants dans le spectacle, comme lors de ce numéro, où les comédiens sur scène cherchent, via Chatroulette.com un internaute qui voudrait se prêter au jeu et jouer une scène de Cyrano de Bergerac devant nous, public. Ceci est complètement improvisé et c’est très rigolo de voir cet inconnu prendre part au spectacle.
En plus de ces sites de rencontres virtuelles, on explore également les pages Facebook, où les comédiens défilent devant nous public, une liste de commentaires de leurs propres amis Facebook. Oui, la plupart de ces commentaires sont drôles, banals souvent, mais on voit également qu’il est possible d’y trouver du support moral, de l’écoute et du réconfort parmi ses amis virtuels.
En bref, ce spectacle scénarisé, mais mi-improvisé, est un bon laboratoire multimédia qui explore les facilités et les risques de la navigation sur le web. Une belle réflexion sur la réalité et le virtuel, la vie privée et celle que l’on expose en public. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour rencontrer, pour voir, pour savoir, dans cet univers où TOUT est accessible? Un spectacle qui dérange, mais tellement percutant!
Le ishow, créé en 2012 à Montréal, a reçu en 2013 le prix du Meilleur spectacle de l’AQCT (Montréal) et le Buddies in Bad Time Vanguard Award for Risk and Innovation au Summerworks Festival de Toronto.
Il était possible, à la fin du spectacle, d’assister à une rencontre avec les artisans de ce spectacle pour leur poser des questions et approfondir les objectifs d’une telle pièce.
Galerie de photos de la générale : https://www.flickr.com/photos/infoculturephotos/sets/72157645118600354/
Ce spectacle sera à nouveau présenté ce soir, le 12 juin, au théâtre Périscope à 21h.
Le spectacle s’adresse à un public de 18 ans et +.
Scènes de violence et de sexualité.
Crédits
Création et interprétation Émile Beaudry, François Édouard Bernier, Sarah Berthiaume, Hugo B. Lefort, Maxime Carbonneau, Patrice Charbonneau-Brunelle, Nathaly Charrette, Philippe Cyr, Laurence Dauphinais, Dominique Leclerc, Émilie Leclerc, Chanda Legroulx, Édith Patenaude, Gilles Poulin-Denis et Audrey Talbot
Lumière Marie-Ève Pageau
Direction technique et régie Julie-Anne Parenteau-Comfort
Collaboration au son Navet Confit.
Conseils au mouvement Mélanie Demers
Production Les Petites Cellules Chaudes
Remerciements
Remerciements à Jasmine Catudal, à Claude Poissant, à Navet Confit, Olivier Barrette, Maxime David, Mélanie Demers et tous nos généreux collaborateurs.
http://www.carrefourtheatre.qc.ca/
Crédit photos : Ianis Delpla
